Au bord du gouffre

Je reprends mon journal commencé ce matin. Je suis pris d’un vertige. Le drame gazaoui me percute à nouveau en première page. L’impensable est arrivé.

Le gouvernement de cet État d’Israël dont rêvait ma grand-mère qui perdit la moitié de sa famille à Auschwitz continue de se comporter vis à vis des habitants de Gaza avec une barbarie insupportable. Ses soldats assassinent onze habitants d’un village qui ne faisaient que réclamer le droit de revenir dans leur village dans le sud du Liban, ne demandant que l’application des accords qui venaient d’être signés. Il y a peu de temps, la Cours de justice internationale inculpait M. Netanyahou et les dirigeants du Hamas pour leurs crimes de guerre. Ces événements sont des bombes à fragmentations. Les dernières enquêtes révèlent que plus de 200 000 Israéliens ont quitté leur pays en 2024 et tout montre qu’ils sont animés par la peur des dérives anti-démocratiques de leur gouvernement et la montée d’une extrême droite religieuse fascisante. Il n’y a pas de peuple élu vacciné contre l’antifascisme. En Europe et particulièrement en France, jamais l’antisémitisme n’a été aussi fort depuis la deuxième Guerre mondiale, alors même que l’on commémore l’ouverture des camps d’extermination mis en place par la haine nazie dans lesquels périrent près de 6 millions de personnes, essentiellement juives mais aussi tziganes, homosexuelles, déficients mentaux et auxquels il faudrait ajouter toutes les victimes de la mise en esclavage des Russes et de tant d’autres.

Il y a peu, au pays de Voltaire et d’Hugo, un « fou de Dieu » tranchait la tête de mon collègue Samuel Patty, pour le seul motif qu’il avait fait étudier des caricatures religieuses comme outil d’apprentissage de l’esprit critique. Salman Rushdie sauvait sa vie mais perdait son œil, des centaines de milliers de femmes yézidies étaient violées et vendues sur des marchés en Syrie. La rage jihadiste sévissait en Syrie, une organisation d’assassins, with god on our side,  massacrait 1200 personnes en dehors des murs de Gaza dont une grande partie était des jeunes qui faisaient la fête. Les femmes n’ont plus le droit de voir la lumière en Afghanistan, le parlement irakien cherche à mettre en place une loi autorisant les mariages à partir de neuf ans, les Tibétains n’existeront bientôt plus, les Ouïgours produisent nos vêtements dans des camps de travail en Chine, on continue sans fin de s’entre-tuer au Yémen, au Soudan, au Congo et ailleurs sous les regards impuissants de l’ONU, des millions d’électeurs chrétiens baptistes américains voient en Donald Trump la figure qui va combattre l’antéchrist annoncé dans l’Apocalypse. Nous sommes bientôt deux mille ans après la passion vécue par Jésus de Nazareth qui expliquait sans relâche « Je vous apporte un commandement nouveau, aimez vous les uns les autres ». Cherchez l’erreur. Ma raison vacille !

La guerre en Ukraine est reléguée très loin dans les pages intérieures. Elle est devenue banale. Cette guerre dans les tranchées desquelles combattent des soldats comme le faisait mon grand-père à Verdun, dans la Somme ou sur le Chemin des Dames, comme mon père au moulin de Jebsheim en février 1945, cette guerre a lieu aujourd’hui en Europe après 80 ans de cette paix pour laquelle nos anciens se sont tellement battus et qui était une des promesses de l’ONU et de la construction européenne. Dans ce même journal, un titre m’interpelle « Le smartphone, victime idéale des cyberpirates : arnaques, vols de données, espionnage… ». L’article nous explique que la cybercriminalité est omniprésente, qu’un Français sur dix reçoit mensuellement des tentatives d’escroquerie. « Il faut avoir une approche qui frôle la paranoïa et ne surtout pas faire confiance par défaut » explique le directeur marketing d’une société de cybersécurité. Bienvenu dans le monde de 2025. Alors que les feux ravagent Los Angeles depuis des semaines, que nous apprenons que les sous sols de la quasi totalité des grandes agglomérations françaises sont pollués à des niveaux supérieurs à la dangerosité admise pour la santé par des substances aux durées de vie très longues, on parle de « polluants éternels »,  qui s’introduisent dans nos consommations ordinaires, dans l’eau, le sol, les plantes, les jus de fruits, le vin, les gouvernements européens, à commencer par le nôtre, celui des États-Unis, détricotent jour après jour les quelques mesures qui avaient laborieusement été prises pour limiter les hausses de températures. Un autre article nous apprend que l’année 2024 fut la première au-dessus du seuil de 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, un canulars pour l’actuel président américain qui rêve d’acheter le Groenland pour y forer, forer, forer. Un autre encore explique que de nombreux scientifiques, désespérés par la bêtise humaine, appellent à une gouvernance mondiale face à l’utilisation « inéluctable » de la géo-ingénierie solaire. Les dirigeants de ces entreprises qui veulent injecter des aérosols dans la stratosphère et installer des miroirs géants dans l’espace pour modifier notre climat ont-ils jamais lu Barjavel et Orwell ?

Pendant ce temps là, les cancers galopent et se multiplient. Je fais un compte rapide dans mon entourage très proche (frères, sœur, oncles, tantes, amis), sans réfléchir, j’en compte 12. Cinq d’entre eux sont décédés dans les toutes dernières années. La fertilité masculine a baissé de plus de 50 % dans le monde, la concentration moyenne de gamètes dans le sperme des hommes a été divisée par deux en l’espace de 45 ans ! Quatre vingts ans après les combats de la deuxième Guerre mondiale qui ont fait plus de 55 millions de morts, le fascisme dans une grande variété de formes mais une grande unité de fond revient en force partout dans le monde, en Argentine, un peu partout dans l’Union européenne, aux États-Unis. Je repense à ces champs de croix blanches en Normandie, à tous ces gars qui avaient juste vingt ans et se sont fait trouer la paillasse pour que « plus jamais ça ! ».

Nous avons baissé la garde faute d’avoir compris que la démocratie et les droits humains qui vont avec nécessitent un combat permanent pour juguler la loi naturelle du plus fort et cette loi revient avec une violence capable de tout emporter aujourd’hui. Sans espoir et sans espérance illusoire mais pour conserver un peu de notre dignité, chacun à sa place, chacun avec son talent et son savoir-faire, il nous faut, avec ceux qui n’ont jamais cessé de le faire, rejoindre ce combat permanent, dans notre quotidien, dans nos métiers, dans nos quartiers, nos partis, nos syndicats, nos associations, avec nos amis, lutter jour après jour pour que soient si possible conservés, au mieux adaptés voir augmentés nos acquis sociaux et sociétaux si durement gagnés pour un monde apaisé, une planète réconciliée. Les objectifs ne manquent pas : faire de l’Union européenne une véritable fédération démocratique qui s’appuie sur les droits humains, arracher, pied à pied, les victoires petites ou grandes sur la folie prédatrice qui pourrit notre environnement, faire de l’univers du web un espace de communication et de partage protégé respectueux de nos données, de nos libertés, protéger l’espace journalistique des prédations économiques et politiques, en finir avec les tyrannies genrées, accueillir correctement les gens venus d’ailleurs, être capable de condamner à la fois le sionisme et l’antisémitisme, les assassins de Gaza et ceux d’Israël...la liste est longue. Chacun là où il est, comme il est peut agir, en toute modestie, pour aider à la mise en place d'une société alternative qui rende crédible une alternative politique plus que jamais nécessaire, fondée sur l'Etat de droit, la démocratie, le respect des droit humains, la prise de conscience des problèmes climatiques, énergétiques et environnementaux, le désir d'une société en paix dans laquelle chacun puisse s'épanouir individuellement et collectivement

Antoine Leprette.

Locmiquélic le 26/01/2025

Cet article a été mis à jour le 9 mars 2025

Antoine Leprette

 Un passé de professeur d'Histoire et de Géographie,  d'infirmier,  d'expatrié en Arabie, en Afrique, toujours voyageur dans l'espace et le Temps, guetteur! Je souhaiterais faire profiter de ma boussole, constituée au fil du temps, de mes rencontres, de mes épreuves, pour s'orienter dans ce monde agité de si terribles soubresauts.