Démocratie? fascisme?
Avec le Front-Rassemblement National à nos portes, il est grand temps de revenir aux fondamentaux. Les souvenirs du fascisme, de Vichy et de la guerre se sont estompés avec le temps. En 1941, mon père errait dans Marseille, crevant de faim, avec 40° de fièvre. Il écrivait dans son carnet intime: "Qu'est-ce que c'est que cette collaboration qui ne nous donne même pas à manger". Pétain avait signé un accord de collaboration avec l'Allemagne lui garantissant 80% de sa production agricole. Mon père avait 20 ans. Pétain et ses épigones de l'extrême-droite française étaient au pouvoir depuis un an, amenés là par leur démission face à l'invasion allemande ! deux ans plus tard, des amis de ma famille furent dénoncés comme juifs par un paysan voisin et envoyés à Drançy avec la bénédiction des autorités du Maréchal Pétain et de ses sbires de Vichy. Il y avait huit enfants.
Aujourd'hui, à force d'analyses, souvent brillantes, dans tous les sens, de nouveaux concepts apparaissent qui finissent par vider de leur sens la réalité, des concepts qui finissent par devenir mous et inopérants. Ainsi en va-t-il des concepts de démocraties autoritaires, de démocraties il-libérales ou de populisme.
Qu'est-ce que la démocratie? Parler de démocraties illibérales ou autoritaires est un non sens. La démocratie n'existe pas sans liberté ! la démocratie n'existe pas sous la férule d'un chef. Dans ces deux cas, il existe d'autres concepts pour désigner de tels systèmes, le despotisme ou la dictature. On a vu dans quelles errances cette erreur conceptuelle a conduit de nombreux chefs d'Etat, hommes politiques et commentateurs à propos de la Russie de Poutine. "La démocratie est le plus mauvais des systèmes à l'exception de tous les autres" disait Churchill mais c'est le seul régime capable de s'auto-réformer tant qu'il reste vivant. Ce n'est en aucun cas un système parfait et il nécessite un combat permanent pour le maintenir et l'améliorer sans cesse en l'adaptant aux générations nouvelles. La démocratie a pour objectifs fondamentaux de contrecarrer la loi naturelle de la domination des plus forts pour protéger les plus faibles, de préserver la paix, d'apporter du bien-être à tous, d'améliorer sans cesse les droits de chacun, de faire société. Pour cela, les démocraties modernes reposent sur un certain nombre de piliers fondamentaux. En retirer un et la démocratie n'en n'est plus une:
- Le vote populaire pour choisir les dirigeants et parfois décider directement de la loi par le référendum.
- La séparation des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire et la mise en place de contre-pouvoirs.
- Le respect des droits humains, de tous les droits humains et notamment les libertés individuelles et collectives parmi lesquelles les libertés d'expression, d'opinion, de réunion, la protection des individus..
- La vitalité de la participation des citoyens, le vote bien sûr mais aussi la vie associative, politique, syndicale, culturelle, le droit de manifester, de faire grève... Et c'est pourquoi parler de démocratie autoritaire ou illibérale n'a pas de sens car dans ces deux cas, un ou plusieurs des piliers essentiels de la démocratie sont détruits, la séparation des pouvoirs et la protection des droits notamment. La Russie poutinienne est une dictature depuis le début et la Hongrie d'Orban qui met la justice sous sa coupe, bride la liberté d'expression et d'opinion, frise avec le despotisme.
Bien évidemment, du fait même de la nature humaine dans laquelle le droit naturel est le droit du plus fort et parce que la démocratie doit répondre aux intérêts d'une somme considérable d'individus, de groupes différents (sociaux, générationnels, genres....), la démocratie rend obligatoire le dialogue, les débat parfois très vifs, voir outré, les contestations parfois violentes mais, in fine, les nécessaires compromis. Les formes peuvent varier suivant les traditions historiques des différents peuples.
Le fascisme repose lui aussi sur un certain nombre de piliers. Le concept de fascisme, nom générique du populisme totalitaire italien est un concept qui permet d'appeler un chat un chat. Le nazisme allemand, le franquisme espagnol, le salazarisme portugais, le péronisme argentin, le pétainisme de Vichy, tous ces régimes cochaient toutes les cases. Le Front-Rassemblement national actuel en France en est l'héritier qui coche lui aussi toutes les cases d'un parti fasciste.
- Une conception autoritaire de la vie politique. Le FN-RN n'a que les mots ordre, autorité, sécurité, à la bouche. La mise en place d'une police sans garde fou est un des points forts de son programme.
- La nécessité d'un chef et le culte qui va avec, Mussolini, Hitler, Franco, Juan Peron, Mao-Dzo-Dong, Staline...le Duce, le Fuhrer, le Caudillo, le Grand Timonier...On ne peut que constater avec tristesse l'hystérie qui peut s'emparer des aficionados de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella. Ils n'ont pas encore reçu leurs petits noms mais ça viendra. La bonne nouvelle c'est qu'aucun fascisme ne peut se permettre d'avoir deux chefs. l'un des deux éliminera obligatoirement son-sa concurrente. Ainsi en avait fait fait le père avec Bruno Mégret, la fille avec son père.
- Une vision conservatrice du monde qui mythifie et fantasme le passé au prix d'une réécriture de l'histoire (le fameux: c'était tellement mieux avant!). La tirade de Jordan Bardella lors d'un débat télévisé récent à propos de Jean-Moulin, le culte de Jeanne d'Arc sont à ces égards édifiants.
- Un vrai programme social financé par un protectionnisme outré qui peut aller jusqu'à une volonté autarcique obligatoirement source de guerre. Le fascisme est parfois une dérive terrible de la pensée socialiste quand certains y ajoutent autorité, culte du chef, ultra-nationalisme et haine de l'autre. Il faut savoir regarder l'histoire sans cacher ses parts d'ombre, sans dénis. Mussolini était un des dirigeants importants du Parti Socialiste italien, Il y a socialisme dans National-socialisme (nazi en allemand), le péronisme s'inspirait du socialisme et ces partis au pouvoir ont mené de vraies politiques sociales mais à quel prix, les assassinats parfois de masse, les privations de liberté, la guerre... Le FN-RN n'échappe pas à la règle et nombreux sont les fondateurs du Front national issus des rangs du socialisme (Victor Barthélémy passé par le Parti Communiste et l'Internationale communiste, Brigneau venu du Parti radical, Gaucher, ancien trotskyste...). La pensée sociale y est réellement présente qui séduit nombre de citoyens, lutte pour le pouvoir d'achat, contre le chômage... mais à quel prix? La politique des circuits courts (récupération du vocabulaire économique des écologistes) telle qu'elle est prônée par le FN-RN est une politique de protectionnisme outré qui amènera ce dernier à vider l'UE de son sens et à un appauvrissement durable de notre pays, comme en Angleterre.
- L'exclusion de l'autre qui repose sur un nationalisme exacerbé. Par un moyen ou un autre, il faut éliminer, rabaisser celui qui est différent, les étrangers, les immigrés, les Juifs, les femmes, les homosexuels, les handicapés... Le concept de préférence nationale, concept central du FN-RN résume à lui tout seul ce qui est sa colonne vertébrale. Et Bardella ne se cache plus de sa volonté de faire disparaître le droit du sol hérité de nos anciens depuis le XVI° siècle. Pour le FN-RN, l'histoire de France est à géométrie variable.
- Les atteintes aux droits humains. Le FN-RN ne fait pas mystère de sa volonté de privatiser les services publics de Radio France et France TV. Lisons entre les lignes, vendre ces hauts-lieux de la création culturelle et de la liberté d'expression à des groupes comme celui de Bolloré quand on voit ce qu'il a fait de Canal +, C8 ou Europe 1, après y avoir placé ses pions à ses bottes, cela fait frémir. Les mesures d'interdiction d'accès à la haute fonction publique à nos ressortissants bi-nationaux rappelle tristement l'interdiction vichyste faites aux Juifs, ces "étrangers de l'intérieur". Nauséeux !
- Une matrice de pensée totalisante, susceptible de tout expliquer (la question raciale chez les nazis, la vision religieuse franquiste, saoudienne, aujourd'hui le complotisme...)
- Une adhésion populaire. Mussolini, Hitler, Peron sont arrivés au pouvoir par les urnes. Aujourd'hui Marine Le Pen et Jordan Bardella sont aux portes du pouvoir par le bon vouloir d'une grande partie des électeurs, des électeurs en grande souffrance sociale dans un monde très tourmenté et devenu très complexe, inquiets pour leur présent, pour leur avenir et celui de leurs enfants et qui ont perdu confiance suite aux réformes brutales, aux multiples trahisons ou incompréhensions des souffrances sociales des précédents gouvernants.
Le FN-RN coche toutes les cases. C'est un vrai parti fasciste. Tout doit être fait pour empêcher celui-ci d'arriver au pouvoir. La dé-diabolisation est un leurre, de la poudre aux yeux. Comme tous les partis fascistes, le FN-RN surfe sur le mensonge permanent. Le Rassemblement National d'aujourd'hui n'est que le dernier avatar d'un Front National relooké, ce Front National fondé, il y a près de cinquante ans, par Pierre Bousquet, et Léon Gaultier, anciens soldats de la Waffen SS, Victor Barthélémy, ancien membre du Parti Populaire Français de Doriot, François Brigneau, ancien membre de la Milice, Roland Gaucher qui n'hésitait pas à déclarer que les lois antisémites de Vichy étaient insuffisantes, François Dupra, fondateur d'Ordre Nouveau qui se déclarait ouvertement "néo-fasciste" puis Jean-Marie Le Pen qui revendiquait d'avoir torturé durant la guerre d'Algérie et pour qui les camps d'extermination n'étaient qu'un "détail" de l'histoire. Ce sont les héritiers de ces gens là qui revendiquent de gouverner le pays de Molière, d'Hugo, de Camus, de Simone Veil, de Michel Colucci (Coluche). Ce sont ces gens là qu'il faut combattre, pied à pied.