Risque de guerre en Europe ? Faut-il en avoir peur ?


Peur ? Non ! Mais prudents et préparés, certainement, pour ne pas avoir à la faire ! Or, nous ne le sommes pas. Nous n’avons pas été prudents et nous ne sommes pas suffisamment préparés. Reprenons notre boussole, en vrac, État de droit, démocratie, droits humains (dont le droit imprescriptible à vivre en paix et à la sécurité individuelle et collective), valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité, laïcité), enseignement de l’histoire, refus absolu du nationalisme (concept exclusif et guerrier par essence), ouverture aux autres, construction européenne, écologie politique, épanouissement individuel et collectif, pour essayer de comprendre et d’adopter les bons choix.

Le vieux débat rousseauiste qui consiste à savoir si l’homme est naturellement bon ou non est totalement dépassé depuis longtemps déjà. Les guerres napoléoniennes, les guerres coloniales, la guerre de Sécession, les deux guerres mondiales, la Shoah sont passées par là et pour les indécrottables, les enfants de Gaza, des communautés israéliennes de Kfar Aza, Nir Oz, Nahal Oz, Be'eri et Ofakim, les femmes yézidies violées et vendues par Daech en Syrie, les femmes afghanes rangées à l’état de choses, les viols politiques actuellement au Congo et j’en passe sont là pour nous rappeler que ce débat est devenu caduque. Revenir à une liberté sans règles comme le mettent en place Trump et les dirigeants des grandes entreprises du numériques, les GAFAMS, revient à se soumettre à la loi naturelle des hommes.

Cette loi naturelle est la loi du plus fort et les seules parades efficaces que l’homme a pu imaginer et mis en place pour défendre les plus faibles est la mise en place de règles qui s’appellent l’État de droit et la démocratie. Certes, l’état actuel de ces deux outils est toujours insatisfaisant, le sera toujours et nécessite un combat permanent pour les maintenir le plus affûté possible. Il y a beaucoup à faire aujourd’hui en la matière et c’est une nécessité car c’est de cette faiblesse dont les plus forts cherchent à tirer profit. Pas de vraies démocraties sans respect absolu des droits humains. C’est ce qui condamne aujourd’hui le gouvernement israélien et le Hamas qui gouverne la bande de Gaza. D’autres systèmes plus performant peuvent être éventuellement mis en avant mais sur l’heure, nous devons faire avec le réel.

Que nous enseigne l’histoire ? L’Union Européenne est l’espace politique sur la planète dans lequel démocratie et État de droit (l’un ne va pas sans l’autre) et aujourd'hui une prise de conscience des enjeux climatiques, énergétiques et environnementaux, avec toutes leurs imperfections et leurs insuffisance, sont les plus avancés favorisant les progrès, jamais linéaires et toujours trop lents, de l'épanouissement individuel et collectif. Jusqu’à aujourd’hui, elle tirait sa force de sa capacité à organiser la paix ce dont nous bénéficions depuis 80 ans. Une durée jamais vécue en Europe occidentale depuis la pax romana. Pour ne pas avoir la guerre, il vaut mieux la préparer ou du moins s’y bien préparer et savoir la faire. Vieil adage malheureusement toujours d’actualité et qui s’était malheureusement trop vérifié en 1939. La France était mal préparée à la guerre (une conception de la guerre qui datait des tranchées de 1914-1918) et n’a pas voulu la faire à temps quand l’Allemagne nazie, violant les traités internationaux s’est réarmée, à occupé la rive gauche du Rhin, annexé la Bohème, l’Autriche puis envahi la Pologne.

L’histoire ne se répète pas mais elle bégaye parfois. C’est le cas aujourd’hui. Le dictateur et sa coterie au pouvoir en Russie est surarmé, il a attaqué la Tchétchénie puis la Géorgie, la Crimée, nous n’avions pas répondu, il cherche aujourd’hui à avaler l’Ukraine, à déstabiliser l’Europe. Nous n’avions pas bougé alors ou si peu. Il est grand temps de se réveiller. Hitler était animé par sa théorie de l’espace vital au service d’une soi-disant race supérieure, Poutine est animé par le mythe de l’empire russe et de sa place choisie par Dieu pour défendre une certaine vision ultra conservatrice du christianisme. Moscou reste pour lui la troisième Rome dont il est le nouveau Tsar et Tsar est le terme russe qui désigne César. Bienvenue dans le temps long.

Nous sommes amis des États-Unis d’Amérique et du peuple américain depuis sa guerre d’indépendance. La France a guerroyé à cette époque aux côtés des insurgés qui cherchaient à se libérer du joug britannique, avec succès. En 1917, les Boys ont débarqué en France au cris de Lafayette nous voilà. Ils venaient payer leur dette. En 1944, ils débarquaient à nouveau en Normandie et en Provence et nos cimetières normands et provençaux sont recouverts depuis de litanies de croix blanches sous lesquelles dorment des milliers de jeunes gars venus d’Arkansas ou du Nevada au nom d’une certaine conception de la liberté. Ils étaient présents à la bataille de Jebsheim aux côtés du 1° RCP et de la Légion étrangère française pour libérer Colmar et l’Alsace. Nous n’oublierons jamais.

Cette aide américaine s’est faite à cette époque dans un large quiproquo que le général de Gaulle a toujours, avec obstination, et ce fut sa grandeur même si c’était pour de mauvaises raisons, cherché à dissiper. Les deux puissants de l’époque, renouant avec leurs visions impériales, l’URSS, continuation par d’autres voies de l’empire russe, et les États-Unis d’Amérique, revenaient à la vieille conception des aires d’influence héritées du XIX° siècle au mépris des indépendances et des souverainetés des uns et des autres. Ils réalisaient, sous d’autres formes ce que l’Allemagne nazie et l’Urss avait fait en signant leur pacte de non agression en 1939. On sait ce qu’il en est advenu. Certains ont refusé alors cet état de fait qui aboutit à la guerre froide ponctuée de nombreuses guerres locales, Corée, Vietnam, Angola… et de deux moments d’extrêmes tensions qui auraient pu nous emmener à l’effroi nucléaire, la crise des missiles de Cuba en 1962 et la guerre du Kippour en 1973. Ce fut l’histoire non aboutie, sauf peut-être pour la République Populaire de Chine et la République indienne, de la conférence des non-alignés. En Europe, seule la France sous l’impulsion du président de Gaulle conserva son indépendance vis à vis des deux blocs, tout en restant alliée des États-Unis. Amis mais pas inféodés, telle était la doctrine qui s’est, entre autres, incarnée dans la mise en place de notre conception de la dissuasion nucléaire.

Les temps ont changé. La vieille conception gaulliste de la France éternelle qui aurait une mission dans le monde n’est plus de mise et est à ranger aux oubliettes dans lesquelles traînent les vieux mythes mortifères du nationalisme et le nationalisme disait le président Mitterrand, c’est la guerre. Mais la nécessité de passer des alliances équilibrées et l’idée d’indépendance des peuples, comme garantie de leurs paix pour se protéger des plus forts et des plus agressifs reste juste. À l’heure des empires planétaires, la France semble bien petite, de l’ordre du confetti et c’est à l’échelle de l’Europe qu’il faut impérativement penser et agir pour ne pas être submergé. L’Europe est bourrée d’atouts. Continent plus peuplé que les États-Unis ou la Russie, vieux continents enrichis par l’expérience de ses conflits sans fins, ses cousinages, ses mélanges (les migrations sont une de nos principales richesses), sa culture partagée, elle a réussi ce qu’Aristide Briand et Jean Monnet appelaient de leurs vœux, faire en sorte que ces belligérants de toujours soient liés par des liens tellement inextricables que s’en défaire apparaisse comme de l’ordre de la mission impossible. La réussite est partielle mais quand même ! On voit bien aujourd’hui le Royaume Unis qui revient doucement vers l’UE après un brexit qui l’a tellement usé. L’Union européenne existe, attelage étrange et improbable de 27 pays qui renforcent leurs liens à chaque crise depuis ses débuts. Pas de schéma préalable. On invente à chaque fois. Les Européens, chatouilleux sur les questions de souverainetés, ont appris à conjuguer les crises avec les nécessités du vieux proverbe, l’union fait la force, en usant de torrents de mots, en pratiquant tous les compromis, avec une lenteur parfois désespérante, en inventant à chaque crise avec un pragmatisme plutôt réussi. Plus que jamais, soyons Européens, ce qui reste tout à fait compatible avec le fait d’être Français, Allemands, Roumains... mais aussi Gallois, Bretons, Catalans ... ou d’ascendance kabyle, bambara ou cambodgienne... Paradoxalement, l'agressivité russe en Ukraine et le lâchage américain sont peut-être une chance de plus d'approfondir notre union.

Il faut aujourd’hui avancer. Vite et fort. Un vrai défi pour la vieille Europe si elle ne veut pas que la guerre poutinienne avance plus loin à l’intérieur des frontières de l’Ukraine car, ne nous y trompons pas, Poutine comme naguère Hitler, pratique la loi du plus fort et de la violence. Tu recules ? J’avance. Si nous baissons la garde en Ukraine, se sera le tour de la Moldavie (mais qui sait où se trouve la Moldavie), puis des États baltes, de la Finlande, de la Pologne. Nous n’avions pas voulu combattre pour Prague et la Tchécoslovaquie de naguère et nous avons eu les soldats de l’Allemagne nazie à Paris dans les deux ans qui suivirent. Nous ne pouvons plus compter sur nos amis et alliés américains. Les agents du KGB qui avaient misé sur Trump dès 1984 en en faisant « un agent confidentiel » ne s’y étaient pas trompés et Poutine le sait mieux que quiconque, lui qui est un ancien colonel du KGB. Trump, nouveau président des États-Unis d’Amérique, a rompu l’alliance atlantique qui prévalait depuis la deuxième Guerre mondiale. Le roi est nu et l’Union Européenne doit réagir très vite. Les hésitations ne sont plus de mises et il semble que ses dirigeants l’aient compris. Pourvu qu’ils en aient le souffle.

L’Europe toute entière et pas seulement l’UE doit impérativement mettre sur pied une défense européenne commune. Quatre axes s’imposent, la construction d’une armée, la mise en place d’une industrie d’armement, la mise à disposition des arsenaux nucléaires français et britanniques, le renforcement de notre indépendance économique. Aucun de ces sujets ne semblent plus tabous aujourd’hui et c’est heureux. Si les débats restent très vifs, c’est la démocratie, sur la lutte indispensable et urgentissime contre le réchauffement climatique dans le respect de la justice sociale, sur les nécessités devenues impératives d’amélioration des rouages démocratiques de nos vieux pays, nous devons impérativement faire consensus sur l’État de droit et le socle démocratique. Aucun dérapage sur ces questions là ne peut plus être toléré face à Poutine et la fascisation de l’administration américaine. Il en va de la sauvegarde de nos droits à vivre en paix et en sécurité. Ce n’est pas gagné au vus des errances macroniennes (aux dernières nouvelles, son discours du 5 mars est plutôt bon, il semble prendre les bonnes décisions, attendons la suite), des lâchetés des droites conservatrices, des vices cachés de certaines gauches et de la montée des extrémismes de droite de tous ordres, fasciste ou approchant, un peu partout en Europe et en France en particulier.

Une armée européenne ? Ne rêvons pas. Les désirs de souveraineté restent trop forts. Il faudra encore plusieurs générations, si tout va bien, pour les ranger aux oubliettes de l’histoire. En attendant nous pouvons mettre en place et nous savons le faire, nous en avons l’expérience, des collaborations étroites. L’Europe ne se résume pas à l’Union Européenne. L’UE est la première puissance économique mondiale. L’Europe est un réservoir impressionnant de savoir-faire et d’entreprises de toutes sortes. Coopérer en matière militaire, manœuvres conjointes, expériences de combats communs, initiatives communes permanentes de nos états-majors en s’appuyant sur l’État de droit, les expériences acquises, la Force d’Action rapide européenne, les régiments franco-allemands, l’Otan (dont il faut prévoir qu’il faille s’en passer en cas de défection américaine totale) et envisager la possibilité d’une mise en place extrêmement rapide si nécessaire d’une unité de commandement comme ce fut le cas en 1918 sous la direction du général Foch, comme ce fut le cas en 1944 sous celle du général Eisenhower, nous savons le faire, nous pouvons le faire.

Une industrie commune d’armement. Même si, et c’est mon cas, nous détestons la guerre, quand il faut se battre, il faut des armes. L’Europe a les savoir faire. Il faut les mutualiser avec cinq objectifs, l’indépendance européenne vis à vis de tous les empires, qu’ils soient américains, russe, chinois et demain indien, la rapidité de mise en place, la performance dans tous les domaines, terre, air, mer, renseignements, espace, le refus, garanti en France par notre constitution, de toutes guerres de conquêtes et le respect intransigeant, plus que jamais, des normes environnementales et sociales, seules garanties sur le long terme de notre survie. Nous avons les bases pour cela, en France, au Royaume Unis, en Allemagne, en Italie, en Pologne et ailleurs. Il faut développer des Airbus et des Ariane-Espace de l’armement et du numérique. Nous savons faire et avec succès. Il semble que la Commission européenne s’engage sur ce point. Aux États de suivre.

La France et le Royaume Unis sont les deux seules puissances nucléaires européennes et la France est la seule puissance du continent à en disposer de façon totalement indépendante. La dissuasion nucléaire, on peut s’en plaindre ou s’en réjouir, je suis un anti nucléaire viscéral, est un outil majeur qui a fait ses preuves depuis maintenant soixante ans, je suis obligé de le reconnaître. Michel Rocard, anti nucléaire s’il en fut, fils d’un des pères de la bombe atomique française, confiait en son temps sa surprise alors qu’il devenait premier ministre, de découvrir à quel point l’armement atomique français était pris au sérieux par les Soviétiques de l’époque, une prise au sérieux très confirmée par les réactions russes aux dernières prises de positions d’Emmanuel Macron en la matière. La dissuasion liée à un armement conventionnel est indispensable, elle aujourd'hui insuffisante, c'est l'objet du précédent paragraphe. Même renforcée, face à un adversaire potentiellement ennemi qui possède l'arme nucléaire et dont toute l'idéologie montre qu'il n'aura pas d'état d'âme à s'en servir, la dissuasion conventionnelle semble insuffisante et posséder l'arme atomique comme outil dissuasif est indispensable à l'échelle d'un très grand pays voir d'un continent. 

 La doctrine fondamentale de la France sur ce sujet est la dissuasion du faible au fort qui repose sur quatre piliers. Premier pilier, nous n’avons pas beaucoup de bombes (290 quand même!) mais elles sont de qualités, elles peuvent partir de n’importe où et vous faire très mal si vous nous agressez. Qui s’y frotte s’y pique ! Elle est largement en capacité de servir l’Europe. Deuxième pilier, elle est là pour garantir « les intérêts vitaux » de la France. Ces intérêts ne sont jamais vraiment définis, charge aux ennemis potentiels d’en décrypter la nature et à la France d’envoyer les signes subliminaux ou non qui leurs permettent de les définir. Le champ d’interprétation est large et peut parfaitement s’accommoder d’une extension des intérêts vitaux à toute l’Europe. Charge aux Français et aux Européens d’envoyer les messages qu’il faut. Le troisième pilier est notre indépendance totale en la matière ce qui n’est pas le cas de la dissuasion britannique qui dépend largement des États-Unis. Intégrer l’Europe dans nos intérêts vitaux, ce qui est déjà le cas, n’est pas incompatible avec notre totale indépendance et cette indépendance doit être conservée tant que que l’Union Européenne ne sera pas devenue un véritable État fédéral ce qui semble encore prématuré même si, cahin-caha, nous nous dirigeons sans le vouloir vraiment tout en le faisant, vers cet objectif. Le quatrième pilier est le président de la République française qui en tant que chef des armées a seul le pouvoir de déclencher le feu nucléaire. Il est le garant de notre indépendance et sa légitimité provient, de façon imparfaite nous le savons bien mais c’est la réalité d’aujourd’hui, du suffrage universel.

La faiblesse de ce dispositif réside essentiellement dans le président de la République. Imaginons Marine le Pen au pouvoir ! Un cauchemar pas si improbable. On voit ce qui se passe aux États-Unis. Cette question nous renvoie à l’urgence du débat sur nos institutions, sur l’approfondissement absolument nécessaire de notre démocratie et sur les contre pouvoirs nécessaires.
La question de la mise à disposition de l’arsenal atomique français est ouverte et c’est une bonne chose. Mise à disposition ne veut pas dire changement de doctrine mais intégration dans les réflexions menées par les états majors européens et éventuellement, accueil des avions lanceurs par les autres pays.

Les débats sur l’indépendance économique européenne progressent. Celle-ci passera surtout par le respect des normes de production sociales et environnementales de plus en plus strictes. Pour exemple, la traçabilité de nos téléphones portables qui viennent presque tous de Chine devrait être effective à près de 100 % afin de vérifier leurs conditions sociales et environnementales de production. Les minerais qui les constituent, qu’ils proviennent de Chine ou de Guinée doivent être extraits dans des conditions acceptables ou bien on n’achète pas. Cela a un coût. C’est un des prix de la paix. C'est aussi un moyen de tisser des alliances fiables en aidant au développement économique et social de nos partenaires.
Vivre en paix, c’est vivre en sécurité, un des droits fondamentaux des Humains. Pour vivre en paix, il faut savoir malheureusement montrer sa force pour ne pas avoir à l’utiliser, une armée à l'échelle européenne puissante pour ne jamais avoir a l'utiliser, et cette force n’est pas seulement physique, on apprend ça tout petit dans les cours de récréation, c’est tout l’enjeu des débats et des décisions qui doivent être vite prises, très vite car le feu est à nos portes. Cela aura un coût, c’est évident mais l’Europe est le continent le plus riche du monde, elle doit pouvoir assumer et ce coût devra nécessairement être partagé, cela s’appelle la fraternité, complément essentiel de l’égalité. Plus que jamais, pour conserver le plaisir d'être Français, nous devons nous sentir et agir en Européens.

11-03-2025

Antoine Leprette

Cet article a été mis à jour le 9 mars 2025

Antoine Leprette

 Un passé de professeur d'Histoire et de Géographie,  d'infirmier,  d'expatrié en Arabie, en Afrique, toujours voyageur dans l'espace et le Temps, guetteur! Je souhaiterais faire profiter de ma boussole, constituée au fil du temps, de mes rencontres, de mes épreuves, pour s'orienter dans ce monde agité de si terribles soubresauts.