L'exil!
L'exil qui nous éloigne
L'exil qui nous sépare
Nous met à part
Nous rend, différents.
Étranges étrangers.
L'exil!
Parfois choisi
Souvent subi
Exil douleur
Rarement douceur
Exil tristesse
Parfois tendresse
Exil couleurs
Exil rencontres.
L'exil!
Qui nous fabrique
Qui nous façonne.
L'exil c'est partir.
Partir,
Sans revenir.
Partir,
Puis revenir.
Si loin!
Si près!
Les frontières nous enferment,
Les frontières nous accueillent,
Les frontières dans nos têtes,
Dans nos cœurs,
Dans nos âmes,
Des murs qui emprisonnent.
Où es-tu mon île,
Ma grande île,
Mon île rouge,
Mon île verte et bleue?
On m'a enlevé à toi il y a si longtemps.
L'arrachement!
C'est ainsi que je nommais la tâche grise qui hantait mes nuits d'enfants.
Et j'ai grandi si loin, avec en moi un vide, un manque, un trou que je n' pouvais nommer.
Où étiez-vous voix d'hommes et de femmes mêlées qui chantaient dans l'abside, derrière les bananiers verts?
Vos notes s'élevaient vers le ciel bleu et blanc,
Coulaient vers les rizières.
Elles couraient dans la ville, inondaient le jardin,
Venaient bercer l'enfant dormant sous la varangue.
La vague vous a ôté,
L'avion m'a emporté.
Quarante ans plus tard dans un Paris glacé,
Vos voix sortent de l'ombre.
Elles surgissent des sillons d'un vieux disque usé.
J'écoute, amusé, ces notes venues d'ailleurs.
Et puis mon cœur bondit,
Mes yeux tout embués de larmes qui débordent.
Tout au fond de mon corps, au tréfonds de mon âme,
Là
, très loin, dans un coin perdu de cellules oubliées,
Viennent les notes des hommes et des femmes mêlées
Qui chantaient dans l'abside, derrière les bananiers.
Ces notes réveillent en moi les souvenirs enfouis.
Moments si tendres,
Oubliés,
Perdus,
Aujourd'hui retrouvés.
Et je pleure doucement.
Mon cœur est si heureux de cette joie qui coure dans le réseau si dense de mes veines bleutées,
Mes nerfs sont à vif,
Effleurés par la caresse douce de ces voix venues des rives de ma naissance.
Je suis retourné sur l'île,
Mon île,
La grande île,
L'île rouge, verte et bleue.
J'ai retrouvé l'abside derrière les bananiers,
J'ai entendu les chants des hommes et des femmes mêlées,
J'ai mis mes pieds d'adulte dans mes chaussures d'enfant
Et j'ai fermé les yeux pour ce voyage ailé.
Mes pas m'
ont transporté,
C'est le jour du marché,
Les odeurs m’enivrent,
J'ai six mois
J'ai deux ans,
Ma main blanche dans la sienne,
Sa longue main noire si fine,
La main de Noureline,
Le long de l'océan aux couleurs vertes et bleues,
Les couleurs qui flottaient autour de la tâche si grise.
Au bout de la rue, la plage
Et la grande avenue bordée de cocotiers.
Et mes pieds me conduisent
Et je trouve la plage et la longue avenue bordée de cocotiers,
Là où le vert de l'eau se mêle au bleu du ciel,
Le long de l'océan,
Au bord du grand canal,
Celui du Mozambique.
Je peux pleurer enfin sur mon île retrouvée.
J'ai pu remplir le vide, le manque, le trou que je n' pouvais nommer.
Enfin réconcilié!
Antoine Leprette
Mercredi 23 septembre
La maison du Pêcheur
Locmiquélic
Il est venu de loin,
Sa besace crevée,
De son pays lointain
Qui l'avait rejeté.
Ses yeux se perdent parfois,
Son regard est muet
Dans des ailleurs glacés
Où se givre l'effroi.
Il s'en venait d'Orient,
De cet Iran lointain
Aux senteurs de roses,
Aux parfums de jasmin,
Cette Perse mythique
Qui fit naître les poètes,
Poètes de l'amour,
Et du temps qui s'en va,
De son pays aimant
Violé par les violents
Qui volent, qui tuent, qui blessent
Pourchassant les amants
Au nom de Dieu, au nom de diable
Au nom de tant de boniments.
Il est là tout cassé,
Comme un oiseau blessé
Recherchant la tendresse,
L'amour et la beauté.
Il est là l'étranger,
Si proche et si lointain
Et nous n'avons pour lui
Que nos cœurs, que nos mains
Mais c'est déjà beaucoup
Pour l'homme qui a souffert,
L'enfant qui est sorti
Des geôles de l'enfer.
Et l'âme sœur est là
Tant cherchée, désirée
Qui revit et qui chante
Au printemps qui renaît.
Et c'est la vie qui gagne
Et c'est l'amour offert
Comme un affront suprême
Aux geôliers amers.
Merci à toi, merci
Prisonnier solitaire
Qui a su t'en aller
La tête haute et claire
Chantant ta liberté
A la face des hyènes
Pour retrouver les tiens
Embrasser ceux qui t'aiment;
Pour retrouver celui,
Contre vents et marées,
Qui remua le ciel,
Qui boul'versa la terre
Pour guider ton chemin,
Aplanir les montagnes.
Ses yeux étaient ton phare
Qui te guidaient la nuit
Au milieu des rochers
Dressés par les méchants
Pour t'empêcher de vivre,
D'aller le retrouver.
Étranger tu étais,
Tu es maintenant nôtre.
Nous t'accueillons sans fards,
Sans détours, sans histoires.
Puissiez vous vivre enfin
En paix, dans l'harmonie,
Mes enfants au passé
Si douloureux, meurtri.
Antoine Leprette
Dimanche 14 avril 2019
La maison du pêcheur
Locmiquélic
Exil espoir
Exil souffrance.
Elle est partie
Ils sont partis.
Je les revois tous
Ils étaient des centaines
En une file étrange d'hommes, le regard perdu.
Aéroport de Dammam
Arabie saoudite
Le long du Golfe
Deux heures du matin
Les yeux fatigués
Silencieux
Ils attendent le sésame,
Tampon sur le passeport qui leur dira "Entrez!"
Ils ont quitté l'Inde ou le Népal, le Sri-Lanka, le Bangladesh
Un seul rêve dans les yeux
Une seule boussole
Toujours la même
Chacun la sienne
Mon garçon
Mon fils
Toi qui porte mon nom
Tu le porteras loin, très loin, plus haut que moi.
Il s'appelait Muhammad et venait du Bengale
Son nom est Bastarian, originaire des Indes.
Ils étaient chauffeurs, jardiniers, serveurs
Mister plomber, Silicon man, hommes à tout faire
Invisibles
Si présents
Toujours souriant devant les abbayas noires
Toujours aimables avec les tawbs blanches
Toujours si polis avec les passeports blancs.
Vous arriviez tous les matins dans les bus qui déversaient vos corps fatigués.
D'où veniez vous?
Où retourniez vous le soir quand la nuit tombait sur le désert brûlant?
A combien dormiez-vous dans ces containers chauffés à blanc sous le soleil incandescent de l'Arabie des sables?
D'où veniez-vous, vous qui, jour après jour, sans jamais s'arrêter, couraient, sceaux de goudron brûlant à la main, slalomant au milieu des quatre-quatre rutilants lancés à des vitesses folles, pour boucher les trous de leurs autoroutes sans fin?
Vous qui, sans jamais s'arrêter, chassaient le sable qui recouvrait ces rubans de bitumes filant dans le désert surchauffé,
Combat de tous les jours contre les vents de sable aux embruns dorés.
Et toi jeune fille aux yeux remplis de larmes,
Le cœur glacé de peur à ces lendemains flous,
Ton âme pétrie d'angoisse à quitter ton village, tes parents, ta famille, tes paysages d'enfant.
Tu serrais fort la main de ta voisine quand l'avion prit son envol pour l'Arabie des mille et unes inquiétudes.
Tu venais de Colombo, de la misère des sols boueux, des lendemains inexistants rongés par la nécessité d'achever la journée.
"Where do you come from?
Where are you going?"
Toujours les mêmes questions, lancinantes,
Mélopée en boucle.
Je viens de la misère,
Je marche vers le ciel bleu,
Vers toi dont le passeport est blanc,
Privilège insensé qui ouvre toutes les portes.
Mon esprit retourne à Dammam,
Son aéroport.
Deux heures du matin
Fatigué par un voyage sans fin
Je me met dans la file des hommes indiens hagards.
Un policier arrive
"Sir! Please! come on with me!"
Sans attendre, me voici devant l'officier au tampon.
Mon sésame dans la poche, je hèle un taxi.
Monde insensé, où les hommes ne valent pas les hommes.
Exil souffrance
Exil espoir
Exil voyage
Exil prison.
Retour de Colombo, mon épouse te rassure jeune fille aux yeux de braise.
Demain tu te rendras chez Nemera,
Elle vient de la Grande-Ile.
Ses parents avaient pris le bateau pour fuir le Pakistan.
Ses lointains aïeux avaient quitté le Yemen, il y a longtemps, si longtemps,
Ils voulaient simplement vivre un islam différent
Et Nemera t'attend.
Elle a appris en France à enseigner la langue de Molière.
Tu t'occuperas de ses enfants.
Sois rassurée jeune fille,
Les tiens sont passés avant, pour voir, vérifier, te protéger.
Nemera n'est pas la deuxième, la troisième, la quatrième épouse d'un homme tout puissant, en tawb blanche, au shemag rouge et blanc.
Elle n'a que deux enfants et son homme est doux.
Les hommes de ton pays sont passés avant toi, pour toi.
Tu as de la chance jeune fille aux yeux noirs.
Tu viens du Sri-Lanka.
Mariam vient des Comores,
Son patron est son maître.
Elle a osé dire non!
Le maître est passé outre.
Mariam s'est enfuie.
Accusée de vol, menacée du fouet,
Elle dort ce soir avec tant d'autres femmes derrière les grands murs aux barbelés serrés.
Elle est femme, elle est noire et ça est pas grand chose.
Nurah vient d'Erythrée
Elle a seize ans
Dhiya a donné six mille cinq cents euros à sa voisine,
Nurah garde son bébé,
Dhiya garde son passeport.
"On ne sait jamais".
Dhiya est professeure,
Dhiya est française, son papa égyptien, sa maman d'Algérie,
Un passé de Cosette,
Les Ténardiers, Jean Valjean,
C'est l'histoire de Dhiya
Nous sommes à Dammam
Au bord du Golfe arabico-persique
Année 2014 après Jésus-Christ
1436 ans après l'Hégire.
Exil espoir
Exil souffrance
Tu es parti
Elles sont parties.
Elles viennent de Manille
Ont laissé leurs enfants aux mains de leurs parents
Les hommes les ont laissé, frappé, abandonné
Elles sont serveuses, ménagères, nounous
Elles frottent, font briller,
Elles astiquent.
"Comment vont les enfants?"
"Bien Monsieur Antoine
Bien Madame Isabelle"
Une larme perle au coin de leurs pupilles humides.
Le dernier a quatre ans.
Il avait un an quand l'avion est parti.
Neeta, a plus de chance
Ménage à gauche
Ménage à droite
La serpillière, le balai et le sceau à la main
Effacée
Invisible
Douze heures par jour
Couturière la nuit
Mais son mari est là et ses enfants aussi.
Le dimanche à l'église clandestine de la ville
Elle chante,
Elle prie,
Nous emmène choisir des tissus chatoyants.
Elle nous prend par la main
Nous serre dans ses bras
Son sourire plein de vie
J'ai trouvé une amie
Enfin vue!
Exil qui vous emmène
Sans fin
Toujours plus loin
Ailleurs
L'histoire de Nemera,
De ses anciens aïeux
Chassés d'un lieu, pas toujours accueilli,
C'est ton histoire aussi fille d’Israël
Toi dont le roulement des R a bercé mon enfance
Toujours sur le départ au grès des caprices des princes,
De la folie des homme.
Constantinople, Espagne
Amsterdam, Alexandrie
Et puis voyage en France
La Pologne,
Pour tes frères, pour tes sœurs.
Terminus Auschwitz!
"Rentre chez toi sale nègre!"
Rond-Point de Charbonnage
Libreville
Gabon
J'ai troqué les sables brûlants pour le vert des forêts.
Toujours la même histoire.
"Hé! le white, le white!"
Seul homme à la peau blanche dans la foule affairée
Je ressens tout le poids d'être autre,
Différent!
"Retourne chez toi, sale nègre!"
Ils sont là tous les deux
Les yeux fixés au sol,
Vrillés à leurs souliers.
Ils viennent du Cameroun,
Chauffeurs,
Étrangers sans papiers.
Le policier à la peau noire sourit
"Ce sera dix mille francs".
Je rentre à la maison, m'installe sous la varangue.
"Bonjour papa!
Ca va?"
On parle deux minutes,
Pas plus.
Le travail l'attend.
Angèle est là, fidèle,
Femme courage,
A six heures le matin
A dix heures le soir,
Elle est toujours là Angèle,
Fidèle!
Elle tord le linge
Repasse
Fait à manger,
S'occupe de la fille de sa patronne.
Elle est togolaise Angèle,
Sa patronne est Fang.
Cinq ans, cinq ans sans retour au pays.
Les papiers, les visas
Et encore les papiers
Et encore les visas.
Un an de salaire pour un visa.
Sa fille a dix ans.
Angèle ne pleure pas,
Angèle travaille
"C'est pas grave Papa.
C'est la vie,
C'est ainsi!"
Antoine Leprette
Dimanche 27 septembre
La maison du Pêcheur
Locmiquélic