Il faisait très froid ce matin à la boulangerie.
Ah ! Bon ? C’est étrange ! il fait pourtant si chaud !
Le soleil avait disparu, ils ont éteint le soleil.
Le soleil a disparu ?
Oui ! Ils l’ont effacé le soleil.
Ils ont repeint la vitrine de couleur bleu marine et il faisait très froid ce matin à la boulangerie.
Ah ! Bon ? C’est étrange ! c’était pareil à l’épicerie et aussi dans les tours, au bureau, à l’usine.
Ils pensent que c’est une bonne idée, comme ça, on aura moins chaud.
Oui ! Ce froid s’étend dans la ville.
Ils repeignent les fenêtres pour ne plus voir le soleil.
Il devient bleu à l’intérieur,
Un bleu bien sombre,
Un bleu marine.
Une peinture bleue s’est répandue dans la ville pour ne plus voir le soleil.
Bientôt, ce sera la nuit dans les maisons, partout dans la ville,
Une nuit bleu marine,
Et pourtant ! il chauffe le soleil.
Il chauffe !
Il chauffe !
Antoine Leprette
Lundi 30 juin 2024 – Locmiquélic
Plusieurs recensions et commentaires sympas à propos de Dans les fêlures du Temps:
Recension dans Poésie sur Seine n° 112 d’avril 2024
Il y a deux sens au mot temps. L’un désigne le temps qui dure et dont le bruissement nous accompagne tout le long de notre vie. Et ce temps-là ne s’arrête jamais. « l’infini, / Un huit couché comme un circuit sans fin de cycles sans cesse recommencés ». Mais l’autre aspect du temps, c’est que, justement, « il ralentit parfois presque à s’arrêter », que ce soit dans la réalité et plus souvent encore dans la mémoire. « parfois, le Temps se fige...Pause sur image dans un replis du Temps ». C’est de l’un à l’autre que va et vient ce beau recueil d’Antoine Leprette qui est une réflexion sur le continu du temps et sur ses détours, (ou les deux ensembles) : « Chaque minute, / chaque seconde / Instants d’éternité »), ses « fêlures » qui nourrissent à la fois notre présent, nos souvenances, nos rêves et, pourquoi pas, nos oublis. « Un amour tant rêvé, / Une histoire avortée, / Oubliée, / Enterrée ». La vie du poète et son œuvre est faite de ces arrêts de lenteur ou de brusquerie, que ce soit dans la vie familiale et amoureuse ou dans les accidents de l’existence. Ce temps-là « joue à saute-mouton », « se contracte, se dilate / Il ralentit parfois presque à s’arrêter, / Nos cœurs se figent alors dans une torpeur glacée, la peur et la mort étroitement enlacées ». Car l’arrêt définitif, c’est bien sûr celui de la mort. « La camarde nous attend, / Inexorablement / Au bout du champ. » Le recueil est illustré par deux graveurs iraniens qui font de cette lecture, non seulement un contentement intellectuel et poétique, mais aussi un plaisir des yeux.
Notre poète est le petit-fils de Fernand Leprette (1890-1970), qui passa en Égypte plus de vingt-cinq ans d’une vie de professeur de français, de poète, de romancier, d’essayiste et d’important animateur culturel. Il y créa ou soutint des revue francophones et fit venir au Caire ou à Alexandrie, de Georges Duhamel à André Gide et Jules Romain, les plus grands écrivains de son temps.
Antoine de Matharel
Commentaire de Michelle Grenier qui publie de nombreux poèmes dans la revue Florilège
Bonjour Antoine
Dans les fêlures du Temps, de la belle ouvrage, une complicité fraternelle avec les illustrateurs Behi et Titouan. Un métissage de langage, de graphisme où les artistes s'enrichissent de leurs différences. Poignant hommage à la femme aimée, Isabelle , toujours vivace, « rose qui renaîtra , merveille de la fleur qui fane et revit ». Nous avons des amitiés communes, Léo , Geogeo , Jacquot auxquels j' ai rendu hommage. Votre poésie est musicale, avec ses refrains, elle rappelle Aragon : « Nous avons tant erré, Laissez-nous vivre un peu , ce temps d'être enfin libre, comme dans la chanson ».
Amitiés poétiques
Michelle Grenier
Recension dans Florilège N° 194 - Marie-Christine Guidon
La maison du Pécheur de Locmiquélic est un étrange endroit où « le Temps est tout sauf linéaire» et dans ses « fêlures », Antoine Leprette nous fait affronter, de plein fouet, bien des tempêtes intérieures. Le temps aurait-il dérapé ou bien serait-ce l’homme brisé par ses nuits d’insomnie ? La poésie de l’auteur, libérée des gangues de la prosodie, se livre sans faux-semblants dans ce recueil. Les illustrations couleur, format A4, de Behi et Titouan, tous deux Iraniens, contribuent à nous faire entrer dans les rouages tourmentés d’un poète-explorateur du temps. Elles viennent souligner les désirs, les doutes mais aussi le désarroi face à l’inacceptable, et l’extrême solitude que les mots, seuls, ne parviennent pas toujours à exprimer. A noter, chose assez inhabituelle pour être mentionnée, que l’ouvrage a été traduit en farsi par Maryam Shariari. Au-delà de la course folle des aiguilles, où passé, présent et futur se heurtent sans-cesse, « le temps prend son dû / sauvagement » et, « les vertiges les plus étourdissants » finissent par se figer en de lointains souvenirs. Cet arrêt sur image sonne l’heure d’une prise de conscience au parfum de regrets. « Le temps de l’enfance perdu à jamais / suspendu au bout de la mémoire », « Nous contemplons avec terreur ce monde détruit / Tout est dévasté », ce que vient corroboré un écho rimbaldien dans « le dormeur sur sa table », « noyé dans ses tous noirs / Il dort ». Mais d’un battement d’ailes, la vie reprend son bouillonnement, malgré l’absence, puisqu’il nous faut « renaître chaque jour précieusement »…
Antoine Leprette, face à l’inéluctable voie sans issue nous livre ses impressions sur le surgissement de la Vie en toute chose… « Mes morts ne sont pas morts / Ils sont dans l’air du Temps / Emportés par les vents, ils sont graines et semences / Ils colorent mes rêves d’un passé enchanté ». A l’évocation de la femme aimée, symbolisée par la rose qui se meurt... « J’aime à penser que je pourrai... te sentir dans les airs », confie le poète, sans doute pour grappiller ce qu’il reste encore de souffle « un coquillage sur l’oreille ».
Malgré les frontières invisibles ou bien réelles qui emprisonnent ou conduisent à l’arrachement, laissant « un vide, un manque », « Tant que nous serons vivants / Nous aimerons l’amour, les femmes et les enfants / Les glaces à la vanille et les mistrals gagnants »… Une dernière seconde de certitude du poète « J’ai mis mes pieds d’adulte dans mes chaussures d’enfant / Et j’ai fermé les yeux pour ce voyage ailé / Enfin réconcilié ! ».
Marie-Christine Guidon
mcguidon@gmail.com
Recension dans Verso n° 196 de mars 2024
J’ai déjà publié Antoine Leprette. Titouan et Béhi sont deux dessinateurs iraniens. Tiotuan vit en France et Béhi encore en Iran. Le projet de cet album est fonction de l’idée du temps. En fait, le temps n’existe pas en soi. Le temps n’est pas linéaire. Il est élastique, formé de plis tous dissemblables. Je cite l’auteur. Dans cet ouvrage, on explore ce qui se cache dans les interstices, quand le temps se brise. Les dessins sont communs s’ils ne sont pas signés.
Un long texte est consacré aux amantes perdues de vue à cause du temps. Y compris Pénélope la plus concernée par ce texte pour son tissage et surtout l’absence d’Ulysse dont le voyage rebondit d’écueils en écueils !
Et nous alors, dans ces fêlures, où rebondissons-nous ? La réponse est dans le texte : Ils sont toujours là! Graines et semences, dans la cascade, dans l’abeille, la guêpe, l’éléphant, dans l’humus, dans la mousse ! « Les morts ne sont pas morts tant qu’ils nourrissent nos vies. »
Alain Wexler