Ils ont repeint le soleil

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Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Liberté

Il faisait très froid ce matin à la boulangerie.

Ah ! Bon ? C’est étrange ! il fait pourtant si chaud !

Le soleil avait disparu, ils ont éteint le soleil.

Le soleil a disparu ?

Oui ! Ils l’ont effacé le soleil.

Ils ont repeint la vitrine de couleur bleu marine et il faisait très froid ce matin à la boulangerie.

Ah ! Bon ? C’est étrange ! c’était pareil à l’épicerie et aussi dans les tours, au bureau, à l’usine.

Ils pensent que c’est une bonne idée, comme ça, on aura moins chaud.

Oui ! Ce froid s’étend dans la ville.

Ils repeignent les fenêtres pour ne plus voir le soleil.

Il devient bleu à l’intérieur,

Un bleu bien sombre,

Un bleu marine.

Une peinture bleue s’est répandue dans la ville pour ne plus voir le soleil.

Bientôt, ce sera la nuit dans les maisons, partout dans la ville,

Une nuit bleu marine,

Et pourtant ! il chauffe le soleil.

Il chauffe !

Il chauffe !

Antoine Leprette

Lundi 30 juin 2024 – Locmiquélic

D’Odessa à Gaza

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Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Paix, Liberté
Une fleur entre ses doigts, il pleure, l’enfant juif aux yeux bleus. 
Ils sont là dans sa chair, tatouages au fer rouge
Les morts, ses morts, les femmes violées, maisons incendiées. 
Les Cosaques sont passés sur leurs corps, 
Ceux de ses anciens, si nombreux sur les rives du Dniepr1
Ils sont là sur sa peau, numéros tatoués, 
Ses parents, assassinés derrière les barbelés2
 
Le sable coule entre ses doigts, il contemple hagard
Le corps de Sarah3, meurtri, violé par les tueurs,
Ses cousins de Gaza venus venger Agar4.
Ils sont sortis des murailles de béton sensées les enfermer
Les riens, les invisibles, les humiliés, les damnés, ses frères
Devenus meurtriers, à leur tour, un tour insensé5.
 
Sous les gravas des écoles, des hôpitaux détruits,
Sous les pluies d’obus, sous les déluges de bombes,
Un autre garçon aux yeux bleus, une fille aux yeux noirs pleurent,
Leur mère entre leurs bras
A deux pas d’Odessa, sous les ruines de Gaza.
Ils sont si nombreux les tueurs venus de la toundra6,
Ils sont sans pitié les vengeurs de Sarah7.
La guerre, partout, reprend ses droits
Dans un sens ou dans l’autre
Sous la férule meurtrière de despotes assassins8.
 
Et devant son clavier, à Paris, à Berlin,
L’homme à la peau couturée voit défiler les morts,
Ceux des kibboutz, ceux de Gaza,
Ceux des rives du Dniepr, ceux des quais d’ Odessa,
Les cicatrices si nombreuses, si vives qui parcourent sa peau
s’enflamment en feu brûlant, coutures de temps anciens.
Ils en ont tant vécu, ceux d’avant, ses parents,
Tant de guerres civiles, pour un drapeau, pour un roi,
Pour un dieu, pour un saint,
Tant de plaines brûlées, tant de guerres de tranchées,
Le cycle des vengeances sans cesse recommencé
À Anvers, à Strasbourg, Cracovie ou Berlin.
 
Ses doigts sur le clavier interroge le passé
pour comprendre le présent et préparer demain.
Ils se sont enfin connus, enfin reconnus,
Ils se sont parlés, ils ont tendu la main,
Ceux d’ Anvers, de Strasbourg et aussi de Berlin
Pour que plus jamais ça, plus jamais, plus jamais,
Pour que vive la paix et la paix est venue,
Fragile, mais présente9.
 
Les doigts courent sur son clavier, les doigts de l’homme blessé.
Puissent-ils voir le sentier caché dans le roncier,
Ce chemin si ténu au milieu du pierrier
Pour enfin se connaître, enfin se reconnaître,
Se parler, mains serrées, tout mêlés,
Une fleur entre leurs doigts,
Les hommes de la toundra, les enfants d’Odessa,
Les descendants d’Agar, les enfants de Sarah.
Antoine Leprette
 
Mardi 02 janvier 2024 – La maison du Pêcheur - Locmiquélic
Publié dans Florilège n°195

 

1Allusion aux très nombreux pogroms qu’a subit la communauté juive en Ukraine au XIX° siècle.

2Allusion aux camps nazis d’extermination

3Allusion à Sarah, épouse d’Abraham, mère d’Isaac, grand-mère de Jacob-Israël, mère du peuple juif d’après les textes bibliques.

4Allusion à Agar, concubine égyptienne d’Abraham, mère d’Ismaël, demi-frère d’Isaac, qui doit se réfugier dans le désert après sa répudiation par Abraham et qui est la mère des peuples arabes d’après les textes bibliques et le Coran.

5Attaque du Hamas du 7 octobre 2023

6Les Russes

7Allusion au Hamas.

8Poutine, Netanyahou, les dirigeants du Hamas et de ses protecteurs iraniens...

9L’Union européenne.

Dans les fêlures du Temps suite

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Plusieurs recensions et commentaires sympas à propos de Dans les fêlures du Temps:

Recension dans Poésie sur Seine n° 112 d’avril 2024

Il y a deux sens au mot temps. L’un désigne le temps qui dure et dont le bruissement nous accompagne tout le long de notre vie. Et ce temps-là ne s’arrête jamais. « l’infini, / Un huit couché comme un circuit sans fin de cycles sans cesse recommencés ». Mais l’autre aspect du temps, c’est que, justement, « il ralentit parfois presque à s’arrêter », que ce soit dans la réalité et plus souvent encore dans la mémoire. « parfois, le Temps se fige...Pause sur image dans un replis du Temps ». C’est de l’un à l’autre que va et vient ce beau recueil d’Antoine Leprette qui est une réflexion sur le continu du temps et sur ses détours, (ou les deux ensembles) : « Chaque minute, / chaque seconde / Instants d’éternité »), ses « fêlures » qui nourrissent à la fois notre présent, nos souvenances, nos rêves et, pourquoi pas, nos oublis. « Un amour tant rêvé, / Une histoire avortée, / Oubliée, / Enterrée ». La vie du poète et son œuvre est faite de ces arrêts de lenteur ou de brusquerie, que ce soit dans la vie familiale et amoureuse ou dans les accidents de l’existence. Ce temps-là « joue à saute-mouton », « se contracte, se dilate / Il ralentit parfois presque à s’arrêter, / Nos cœurs se figent alors dans une torpeur glacée, la peur et la mort étroitement enlacées ». Car l’arrêt définitif, c’est bien sûr celui de la mort. « La camarde nous attend, / Inexorablement / Au bout du champ. » Le recueil est illustré par deux graveurs iraniens qui font de cette lecture, non seulement un contentement intellectuel et poétique, mais aussi un plaisir des yeux.

Notre poète est le petit-fils de Fernand Leprette (1890-1970), qui passa en Égypte plus de vingt-cinq ans d’une vie de professeur de français, de poète, de romancier, d’essayiste et d’important animateur culturel. Il y créa ou soutint des revue francophones et fit venir au Caire ou à Alexandrie, de Georges Duhamel à André Gide et Jules Romain, les plus grands écrivains de son temps.

Antoine de Matharel

Commentaire de Michelle Grenier qui publie de nombreux poèmes dans la revue Florilège

Bonjour Antoine

Dans les fêlures du Temps, de la belle ouvrage, une complicité fraternelle avec les illustrateurs Behi et Titouan. Un métissage de langage, de graphisme où les artistes s'enrichissent de leurs différences. Poignant hommage à la femme aimée, Isabelle , toujours vivace, « rose qui renaîtra , merveille de la fleur qui fane et revit ».   Nous avons des amitiés communes, Léo , Geogeo , Jacquot auxquels j' ai rendu hommage. Votre poésie est musicale, avec ses refrains, elle rappelle Aragon : « Nous avons tant erré,  Laissez-nous vivre un peu ,  ce temps d'être enfin libre, comme dans la chanson ».

Amitiés poétiques

Michelle Grenier

Recension dans Florilège N° 194 - Marie-Christine Guidon

La maison du Pécheur de Locmiquélic est un étrange endroit où « le Temps est tout sauf linéaire» et dans ses « fêlures », Antoine Leprette nous fait affronter, de plein fouet, bien des tempêtes intérieures. Le temps aurait-il dérapé ou bien serait-ce l’homme brisé par ses nuits d’insomnie ? La poésie de l’auteur, libérée des gangues de la prosodie, se livre sans faux-semblants dans ce recueil. Les illustrations couleur, format A4, de Behi et Titouan, tous deux Iraniens, contribuent à nous faire entrer dans les rouages tourmentés d’un poète-explorateur du temps. Elles viennent souligner les désirs, les doutes mais aussi le désarroi face à l’inacceptable, et l’extrême solitude que les mots, seuls, ne parviennent pas toujours à exprimer. A noter, chose assez inhabituelle pour être mentionnée, que l’ouvrage a été traduit en farsi par Maryam Shariari. Au-delà de la course folle des aiguilles, où passé, présent et futur se heurtent sans-cesse, « le temps prend son dû / sauvagement » et, « les vertiges les plus étourdissants » finissent par se figer en de lointains souvenirs. Cet arrêt sur image sonne l’heure d’une prise de conscience au parfum de regrets. « Le temps de l’enfance perdu à jamais / suspendu au bout de la mémoire », « Nous contemplons avec terreur ce monde détruit / Tout est dévasté », ce que vient corroboré un écho rimbaldien dans « le dormeur sur sa table », « noyé dans ses tous noirs / Il dort ». Mais d’un battement d’ailes, la vie reprend son bouillonnement, malgré l’absence, puisqu’il nous faut « renaître chaque jour précieusement »…

Antoine Leprette, face à l’inéluctable voie sans issue nous livre ses impressions sur le surgissement de la Vie en toute chose… « Mes morts ne sont pas morts / Ils sont dans l’air du Temps / Emportés par les vents, ils sont graines et semences / Ils colorent mes rêves d’un passé enchanté ». A l’évocation de la femme aimée, symbolisée par la rose qui se meurt... «  J’aime à penser que je pourrai... te sentir dans les airs », confie le poète, sans doute pour grappiller ce qu’il reste encore de souffle « un coquillage sur l’oreille ».

Malgré les frontières invisibles ou bien réelles qui emprisonnent ou conduisent à l’arrachement, laissant « un vide, un manque », « Tant que nous serons vivants / Nous aimerons l’amour, les femmes et les enfants / Les glaces à la vanille et les mistrals gagnants »… Une dernière seconde de certitude du poète « J’ai mis mes pieds d’adulte dans mes chaussures d’enfant / Et j’ai fermé les yeux pour ce voyage ailé / Enfin réconcilié ! ».

Marie-Christine Guidon

mcguidon@gmail.com


 

Recension dans Verso n° 196 de mars 2024

J’ai déjà publié Antoine Leprette. Titouan et Béhi sont deux dessinateurs iraniens. Tiotuan vit en France et Béhi encore en Iran. Le projet de cet album est fonction de l’idée du temps. En fait, le temps n’existe pas en soi. Le temps n’est pas linéaire. Il est élastique, formé de plis tous dissemblables. Je cite l’auteur. Dans cet ouvrage, on explore ce qui se cache dans les interstices, quand le temps se brise. Les dessins sont communs s’ils ne sont pas signés.

Un long texte est consacré aux amantes perdues de vue à cause du temps. Y compris Pénélope la plus concernée par ce texte pour son tissage et surtout l’absence d’Ulysse dont le voyage rebondit d’écueils en écueils !

Et nous alors, dans ces fêlures, où rebondissons-nous ? La réponse est dans le texte : Ils sont toujours là! Graines et semences, dans la cascade, dans l’abeille, la guêpe, l’éléphant, dans l’humus, dans la mousse ! « Les morts ne sont pas morts tant qu’ils nourrissent nos vies. »

Alain Wexler

 

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