Vingt-septième jour de confinement - I
Je ne compte plus les jours
Je ne compte plus les nuits
"Ô temps suspend ton vol!"
Et le temps s'est posé
Et le temps s'est figé
Dans un souffle
Plus un souffle
Dans cet instant volé
Qui dure l'éternité
Le monde s'est arrêté
De vivre, de respirer.
Inspire
Expire
Inspire
Expire
Et puis, sans crier gare
Entre inspire et expire
La pause
La pause du temps
Pause sur image dans un replis du temps,
Une légère suspension
Un univers entier
Que va-t-il se passer?
Nous sommes effarés
L'arrêt du temps
Nous contemplons avec terreur ce monde détruit
Ce champ de ruine
Nos champs,
Nos ruines.
L'arrêt du temps nous donne le temps
Le temps de voir
De regarder
De voir passer le temps
Stupéfaits!
Le temps s'est arrêté
Nous ne respirons plus
Et pourtant
Nos cœurs continuent de battre
A vide
Arrêt sur image
Qu'avons nous fait ?
Tout est dévasté.
Je suis sur une île déserte
Et je suis seul au monde
Personne
Le monde est suspendu.
Dans les rues de mon île
Il y a pourtant des gens
Des passants,
Figés
Masqués
La démarche mécanique
Ils bougent et ne bougent pas
Ils n'ont plus de visages
Leurs yeux sont vides, inquiets.
On voit des hommes, des femmes
Mais pas d'enfants.
Il n'y a plus d'enfants!
Les enfants sont cachés.
Mon île, c'est Pompéi
Nous sommes couverts de cendres
Et pourtant!
Nos cœurs continuent de pulser
Mais notre sang ne circule plus
Qu'allons nous devenir?
Un oiseau est passé et m'a pris par la main
Non! je n'ai pas rêvé
J'ai vu son œil cligner
Il m'a fait signe de sa plume
Et mon sang s'est remis à couler.
Dans la rue, un grand bruit
Des chants
Des cris de joie
On se fait signe de la main
On danse sur les balcons
Au son des guitares
Aux rythmes des tambours
Au loin, les montagnes brillent
On ne les voyait plus.
Un oiseau est passé, nous a pris par les mains
Et puis s'est envolé.
Un hoquet!
Notre respiration bloquée s'entrouvre à l'air nouveau
Presque étouffés.
Nous regardons l'oiseau
Et nous nous regardons.
L'air est entré dans nos poumons glacés
Un air frais, si frais,
Notre sang s'est mis à ruer, à rugir
Un sang rouge, oxygéné
Nous n'avions plus l'habitude.
Nous nous sommes contemplés
Et nous avons souri
Et nous avons ri
Et nous avons pleuré
Pleuré de rires et de sourires
Pleurés de sentir la vie.
Le soleil était rouge et les oiseaux volaient
Nous entendions leurs chants
Un chant doux et sauvage
Alors!
Nous nous sommes aimés
Timidement
Avec pudeur
Doucement
Avec lenteur
Puis plus vite
Au rythme des tambours qui battaient dans la vallée
Et ils disaient les tambours:
"L'air est pur
Écoutez les oiseaux"
Alors!
Alors!
Nous avons dansé
Les hommes avec les femmes
Les femmes avec les hommes
Les hommes avec les hommes
Les femmes avec les femmes
Tous mêlés
Tous emmêlés
Et nous avons chanté
"Au clair de la lune, mon ami oiseau
Donne moi ta plume
Pour chanter plus haut"
Et nous avons promis
Nous avons fait serment
Quand nous avons senti notre sang qui coulait
Qui recommençait à mugir dans nos veines bleutées
Nous avons juré
De ne plus jamais recommencer
Pour ne plus avoir a revivre l'arrêt du temps
Ne plus jamais se demander:
""Qu'avons nous fait?"
Antoine Leprette
11 avril 2020 - Maison du Pêcheur - Locmiquélic
Extrait de "Blues du soir: le grand cris de l'arbre" (Inédit)