Vingt-septième jour de confinement - II

Rédigé par Antoine Aucun commentaire
Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Confinement, Epidémie

Et nous comptons nos morts

Car nous avons des morts

Des centaines, des milliers,

Bientôt, des centaines de milliers

Des hommes, des femmes, des anciens, des enfants.

Et sur leurs corps si vite jetés

Par delà les couleurs de leurs yeux qu'on ne peut oublier

Qui inondent nos prunelles des larmes que nous n'avions pu verser,

Eux, recommencent à compter, à payer, monnayer

Avides de construire, de déjà reconstruire

La tour,

La tour grande

Grande

Si grande qu'elle doit toucher le ciel

La tour

Qui détruit

Qui courbe nos échines

Empoussière nos poumons

Emplit de haine nos regards

Pour les autres,

Tous les autres

Pour nous même

La tour qui nous meut

Incessant mouvement

Nous met seuls dans la foule

Épuise nos sentiments

Affole les oiseaux

Mais que valent les oiseaux?

 

Tapis dans l'ombre de nos morts,

Plus que jamais inutiles

On les avait presque oublié

Ils semblaient perdus, hagards, parfois meurtris,

Souvent maladroits

Cachant mal leur surprise.

Eux aussi paraissaient effarés

Ils n'étaient pas préparés

Et nous les comprenions.

Ils sont donc comme tout le monde

Eux aussi ont un cœur, des amis, des parents

Ils nous font souvent rire avec leurs maladresses

Leurs mensonges mesquins

Qui cachent mal leur détresse

Leur insuffisance

Leur suffisance.

Alors, nous pardonnons

Nous pardonnons si vite!

Venez,

Venez avec nous,

Dansez à la vie retrouvée

Quand la faucheuse sera passée

Venez, chantez avec nous

Rions avec l'oiseau

Dans nos villes renaissantes,

De l'herbe sur les pavés,

Dans nos douces campagnes,

Par les abeilles butinées.

 

Ils nous écoutent,

Et nous laissent parler

Mais la tourmente passée

Ils reprennent les rênes

Et les tiennent serrées.

Car au fond ils s'en foutent.

Leurs yeux sont secs

Cœurs de béton.

Et s'ils ont eux aussi

Leurs victimes et leurs morts

Ils ne savent pas pleurer.

Ne rien laisser passer.

C'est à la tour qu'il faut penser.

Aldo Moro

Vous vous souvenez?

Abandonné

Sacrifié

Sur l'autel de la tour

Qui au ciel doit monter

 

Ils ne pensent qu'à ça.

Après les mots de guerre

Après les mots de paix

Après les mots câlins

Les mots doux, les caresses

Les voilà qui reviennent

Durs, cassants, blessants

Il faut siffler la fin de la partie

Assez joué!

Devoir

Savoir

Pouvoir

Chacun à sa place

Une seule tête

Un seul rang

Un seul chant

Il faut la reconstruire

La tour

La tour grande

Si grande

Elle doit toucher le ciel

Peu importe les oiseaux

Et d'abord, quels oiseaux?

Et ne vous inquiétez pas

On vous les fera vos monuments

Vos monuments aux morts

A tous vos morts

Vos héros d'un jour

Vos héros pour toujours

Vous les aurez vos danses

Vous les aurez vos chants

Une fois l'an

Au pied de vos monuments

 

Promis, on a promis

Cela ne sera plus

Promis, promis

Nous aussi on a juré, sermenté

Plus jamais cela!

Plus jamais!

Vous ne mourrez plus

On va s'en occuper!

Et vous serez:

 

Filmés

Surveillés

Numérisés

 

Pistés

Encartés

Téléfilmés

 

Cadrés

Encadrés

Webcamés

 

Clonés

Surveillés

Enregistrés

 

Tweetés

Facebookés

Googueulisés

 

Télésurveillés

Videofilmés

Digitalisés

 

Aseptisés

 

Big Brother

Tu te souviens mon amour?

Big brother is watching you

Tu te souviens?

 

 

"Au clair de la lune, mon ami oiseau

Donne moi ta plume

Pour chanter plus haut"

Tu m'as tendu la main

Je t'ai tendu mes plumes.

Tu te souviens?

On a promis

Promis!

Mais peut-on encore promettre?

Ils nous ont tellement tout pris

Même nos mots

Jusqu'à nos rêves

Parfois leurs mots qui consolent

On se prend à y croire

On voudrait tant y croire

Et si c'était vrai?

Alors on fait semblant

On se rassure un peu.

Mais quand même mon oiseau joli

Promis!

Encore

Encore une fois!

On va essayer

On va les surveiller

On va tout tenter

On ne les laissera plus

T'oublier, te blesser, te tuer

Mon amour

Mon oiseau

Ma Terre

Ma liberté.

 

Antoine Leprette

Samedi 11 avril 2020 - La maison du pêcheur - Locmiquélic

Extrait de "Blues du soir: le grand cris de l'arbre" (Inédit)

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