Un grand chêne poussait au pied d'une fontaine.
L'arbre tendait ses grandes mains au bout de ses longs bras
Noués, tordus.
Il appelait le ciel.
Le ruisseau qui coulait dans un murmure profond se faisait ruisselet,
S'épuisait doucement.
Le ciel s'est tu,
La fontaine s'est tarie
Et l'arbre a gémit.
Au loin les machines brisaient, détruisaient, construisaient,
Les hommes s'aimaient, rêvaient, pensaient, calculaient,
Leurs cheminées crachaient.
Dans un geste furieux, Éole s'est redressé
Les océans grondaient, Saturne se cabrait
Et le ciel a parlé
Et la pluie est tombée,
Tombée,
Tombée.
La fontaine a pleuré tous ses torrents de boue,
Le grand arbre a chuté dans un grand cris de branches
Puis le ciel s'est tu,
A nouveau.
La fontaine a pleuré le grand arbre déchu.
Ses dernières larmes séchées,
La source, épuisée, s'est dissoute dans les sables désertés.
Au loin les machines brisaient, détruisaient, construisaient
Les hommes s'aimaient, rêvaient, pensaient, calculaient ...
Antoine Leprette
Samedi 9 mai 2020 - Maison du pêcheur - Locmiquélic
Extrait de "Blues du soir: le grand cris de l'arbre" (inédit)
Poème publié le 24 juin 2020 dans le volume 5a de la revue de Patrice Perron "Onn Zeu Oueb Eugaine"
"On a remarqué que les colons sont souvent précédés dans les bois par des abeilles: avant-garde des laboureurs, elles sont le symbole de l'industrie et de la civilisation qu'elles annoncent. Étrangères à l'Amérique, arrivées à la suite des voiles de Colomb, ces conquérants pacifiques n'ont ravi à un nouveau monde de fleurs que des trésors dont les indigènes ignoraient l’usage; elles ne se sont servi de ces trésors que pour enrichir les sols dont elles avaient été tirées."
Chateaubriand - Mémoires d'Outre Tombe - Livre septième, chap.6
Chateaubriand a vingt-trois ans quand il débarque en Amérique en 1791 en suivant les abeilles, avant-garde des laboureurs. Qu'écrirait-il aujourd'hui qui voit les abeilles périr à une vitesse vertigineuse? La production de miel dans l'hexagone a été divisée par deux ces vingts dernières années. Partout dans le monde dit "développé", en Europe, aux États-Unis, en Australie, les colonies d'abeilles domestiques et sauvages disparaissent. Les abeilles meurent sous les coups de l'agriculture industrielle et de la folie des hommes.
En 2020, Claude Monet aurait bien du mal a peindre son champ de coquelicots et Victor Hugo ne pourrait plus chanter pour sa fille tant pleurée : "Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur".
Les pesticides sont passés par là éradiquant les "mauvaises herbes" (dont "Les coquelicots" si chers à Monet). Les haies où fleurit l'aubépine sont systématiquement arrachées pour permettre le passage des tracteurs. Les abeilles se meurent et nous, pauvres humains, nous sacrifions nos âmes sur l'autel du toujours plus, toujours plus vite et perdrons bientôt nos vies peut-être quand on sait qu' un tiers de la production agricole mondiale dépend de ces minuscules bestioles.
Les "indigènes" ont été exterminés pour la plupart, les laboureurs se sont métamorphosés en "agriculteurs", ce monde de fleurs a disparu, les conquérants pacifiques ne peuvent plus se servir de ces trésors et les sols pesticidés, herbicidés, fongicidés, se meurent à tout va.
Si les abeilles sont les avant-gardes des civilisations, alors, leur extinction peut annoncer notre disparition.
"Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !"
"Le temps, c'est de l'argent" répond encore et toujours le chœur des boursicoteurs et de leurs épigones ulcérés, ces "Messieurs qu'on nomme grand" qu'interpellait Boris Vian par la voix de Mouloudji dans le "Déserteur".
Que peuvent encore les vers de Lamartine?
Que vaut donc une abeille au regard de l'argent?
"Il y avait un jardin qu'on appelait la Terre
Il était assez grand pour des milliers d'enfants
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents
La la la la la la
Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus
Où est cette maison toutes portes ouvertes
Que je cherche encore et que je ne trouve plus?"
De profundis!
Antoine Leprette
Maison du Pêcheur
Locmiquélic - lundi 15 juin 2020
PS. Cet argent, je le leur laisse et m'en vais flâner en rêvant, regarder pousser les arbres, prendre mon vélo, planter mes choux, prendre un ris dans la grand-voile, apprendre encore et encore de mes amis venus d'ailleurs, aligner des mots qui chantent et avec ceux que j'aime qu'ils soient proches ou lointains, tenter de sauver ce qui se peut encore, réinventer la joie, créer de nouvelles façons d'être, partager les combats présents et futurs, à notre rythme, au rythme du temps, prendre ce temps de vivre si cher à Georges Moustaki.
Pour enrayer le déclin des pollinisateurs, on peut toujours rendre une petite visite sur le site de l'excellente ONG Pollinis: https://www.pollinis.org/
Demain seront nos songes, demain seront nos nuits
Et nous vivrons ensemble tous nos rêves fleuris
Je t'aimerai mon ange
Demain comme aujourd'hui
Les oiseaux voleront dans nos rivières bleues
Les poissons nageront dans l'azur étoilé
Que vogue mon navire
Pour tes baisers poivrés
Nous irons lentement vers nos frères lointains
Repoussant l'horizon de nos mains enfiévrées
Filles et gars réunis
Par leurs doigts enlacés
Les cloches sonneront nos révoltes joyeuses
Les marins chanteront la vague retrouvée
Et nous auront du vin
Pour embellir l'ivresse
Dans la tasse de café, le marc s'est éteint
Mais j'ai lancé les dés: sous les pavés la plage,
Demain, une autre page
Demain, d'autres rivages
Antoine Leprette
Samedi 2 mai 2020 - Maison du pêcheur - Locmiquélic
Poème publié le 1 juin 2020 dans le volume 4 de la revue de Patrice Perron "Onn Zeu Oueb Eugaine"
Extrait de "dans les fêlures du Temps" (Recueil en préparation)
C'est long, si long!
Il faut du temps pour aller à demain
C'est loin, si loin!
Et nous y sommes déjà.
Et je me retourne.
Demain est déjà hier
Que s'est-il passé?
Je l'ai pourtant désiré demain
Je l'ai tellement rêvé.
Je l'entrevoyais dans mes nuits d'insomnie
Je le vivais goulûment dans un présent sans fin
Joyeusement
Avec délice
Avec jouissance
Dans un présent déjà passé
Demain!
Un autre jour
Et la rose est froissée
Que s'est-il passé?
On ne m'a pas expliqué.
Antoine Leprette
Samedi 2 mai 2020
Maison du pêcheur - Locmiquélic
Publié le 25 mai 2020 dans le n°0 de "Poesiemusiketc-La Revue"" dans le cadre d'un appel à auteurs sur le thème de "Demain".
Extrait de "Dans les fêlures du Temps" (Recueil en préparation)
Les poèmes d'Adèlaïde, rédigés après le grand départ de notre ami Luc de la communauté du Plancher des chèvres de Bauduen dans le Var, sont d'une grande fraîcheur et témoignent d'un grand amour de la vie. Merci Adélaïde. On t'a fermé les yeux mais pour nous, ils restent grands ouverts, a tchao Luc.
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