Il pleut dans mon jardin
Les gouttes tombent enfin, larges et grasses
Un bonheur désuet
A contre temps sans doute
Mais un bonheur si vrai
La joie de voir le vert revenir
La joie de sentir l’humus se remplir
Les fleurs s’épanouir
Un escargot qui passe
Une limace
Le gris du ciel apaise mes yeux trop bleus
Trop brûlés d’avoir trop contemplé l’air vibrant provençal
Les sables du désert
Les forêts tropicales
Il pleut sur la Bretagne
Cliché ?
Non ! Événement !
La Bretagne surchauffée par un soleil trop blanc
Que des hommes fous attisent
Tous les jours un peu plus
Activant le soufflet de leur forge assassine
La Bretagne est sans eau
Mais le soleil fascine le citadin meurtri
Cloîtré dans son antre de béton, de métro, de bitume
Le citadin enfoui qui rêve de peaux dorées
De plages bondées
De nouveau Saint-Tropez
Et tant pis pour la forge, les forgerons et leurs excès
Et tant pis pour demain, demain est autre chose
Il pleut dans mon jardin
Un merle se cache sous le lilas
Je ris !
Antoine Leprette
Mardi 07 juin 2022
La Maison du Pêcheur – Locmiquélic
« Songeries » (recueil en préparation)
Poème publié dans le n° 106 (avril 2022) de la revue Poésie Sur Seine sur le thème "Les fleurs"
:
Je marche dans la rue.
Une fleur me dit : « Bonjour ! »
Je passe,
Je m’arrête,
Me retourne,
« Bonjour ! »
Elle est là
Sur le mur,
Un vieux mur de pierres,
Esseulée dans la ville.
« Qui es-tu ? »
« Tu ne me reconnais pas ?
Je suis la fleur,
La fleur perdue,
Oubliée,
Jetée dans les poubelles d’un romantisme que l’on dit désuet,
Assassinée au nom de la productivité,
Éradiquée des champs,
Supprimée des pavés.
J’ai du migrer,
M’exiler.
Je me suis accrochée sur les pierres du vieux mur,
Tant qu’elles sont là (le béton avance qui ne m’aime pas).
Les abeilles ont disparu,
Mes amantes ne sont plus.
Je suis la fleur,
La fleur perdue.
Je suis une couleur,
Me transforme en parfum.
Je viens hanter vos rêves
De raisons raisonnées.
A peine fleurie,
Déjà perdue,
Je renaîtrai demain,
Si bitume et béton
Ne m’ont pas délogé.
Reine de l’éphémère,
Je parfume vos vies.
Je suis la fleur sauvage
Qui pousse sur le pavé,
La fleur des champs assassinée
Par des mécaniques aveuglées.
Pesticidée, herbicidée, fongicidée,
L’abeille est ma compagne
Bientôt asphyxiée.
Je suis la fleur,
Ta fleur.
Fleur de cœur !
La fleur de Béranger,
Le coquelicot de Manet,
L’aubépine d’Hugo,
La fleur traquée
Qui hante vos sommeils informatisés
Au rythme de vos algorithmes,
Vos cervelles sucées,
Vos neurones rongés.
Je suis la survivante
D’un monde oublié,
La fleur sauvage,
La fleur du pavé,
La fleur des champs pulvérisée,
La fleur qui est l’œil
Qui regarde dans les tombes de nos vies résignées.
Au revoir ! »
« Au revoir ! »
Je lui souris,
Fais un signe de la main,
Timide,
Et reprend mon chemin,
Les mains derrière le dos,
Le front penché,
Triste !
Antoine Leprette
Jeudi 30 décembre 2021
La maison du Pêcheur – Locmiquélic
Un grand chêne poussait au pied d'une fontaine.
L'arbre tendait ses grandes mains au bout de ses longs bras
Noués, tordus.
Il appelait le ciel.
Le ruisseau qui coulait dans un murmure profond se faisait ruisselet,
S'épuisait doucement.
Le ciel s'est tu,
La fontaine s'est tarie
Et l'arbre a gémit.
Au loin les machines brisaient, détruisaient, construisaient,
Les hommes s'aimaient, rêvaient, pensaient, calculaient,
Leurs cheminées crachaient.
Dans un geste furieux, Éole s'est redressé
Les océans grondaient, Saturne se cabrait
Et le ciel a parlé
Et la pluie est tombée,
Tombée,
Tombée.
La fontaine a pleuré tous ses torrents de boue,
Le grand arbre a chuté dans un grand cris de branches
Puis le ciel s'est tu,
A nouveau.
La fontaine a pleuré le grand arbre déchu.
Ses dernières larmes séchées,
La source, épuisée, s'est dissoute dans les sables désertés.
Au loin les machines brisaient, détruisaient, construisaient
Les hommes s'aimaient, rêvaient, pensaient, calculaient ...
Antoine Leprette
Samedi 9 mai 2020 - Maison du pêcheur - Locmiquélic
Extrait de "Blues du soir: le grand cris de l'arbre" (inédit)
Poème publié le 24 juin 2020 dans le volume 5a de la revue de Patrice Perron "Onn Zeu Oueb Eugaine"
"On a remarqué que les colons sont souvent précédés dans les bois par des abeilles: avant-garde des laboureurs, elles sont le symbole de l'industrie et de la civilisation qu'elles annoncent. Étrangères à l'Amérique, arrivées à la suite des voiles de Colomb, ces conquérants pacifiques n'ont ravi à un nouveau monde de fleurs que des trésors dont les indigènes ignoraient l’usage; elles ne se sont servi de ces trésors que pour enrichir les sols dont elles avaient été tirées."
Chateaubriand - Mémoires d'Outre Tombe - Livre septième, chap.6
Chateaubriand a vingt-trois ans quand il débarque en Amérique en 1791 en suivant les abeilles, avant-garde des laboureurs. Qu'écrirait-il aujourd'hui qui voit les abeilles périr à une vitesse vertigineuse? La production de miel dans l'hexagone a été divisée par deux ces vingts dernières années. Partout dans le monde dit "développé", en Europe, aux États-Unis, en Australie, les colonies d'abeilles domestiques et sauvages disparaissent. Les abeilles meurent sous les coups de l'agriculture industrielle et de la folie des hommes.
En 2020, Claude Monet aurait bien du mal a peindre son champ de coquelicots et Victor Hugo ne pourrait plus chanter pour sa fille tant pleurée : "Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur".
Les pesticides sont passés par là éradiquant les "mauvaises herbes" (dont "Les coquelicots" si chers à Monet). Les haies où fleurit l'aubépine sont systématiquement arrachées pour permettre le passage des tracteurs. Les abeilles se meurent et nous, pauvres humains, nous sacrifions nos âmes sur l'autel du toujours plus, toujours plus vite et perdrons bientôt nos vies peut-être quand on sait qu' un tiers de la production agricole mondiale dépend de ces minuscules bestioles.
Les "indigènes" ont été exterminés pour la plupart, les laboureurs se sont métamorphosés en "agriculteurs", ce monde de fleurs a disparu, les conquérants pacifiques ne peuvent plus se servir de ces trésors et les sols pesticidés, herbicidés, fongicidés, se meurent à tout va.
Si les abeilles sont les avant-gardes des civilisations, alors, leur extinction peut annoncer notre disparition.
"Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !"
"Le temps, c'est de l'argent" répond encore et toujours le chœur des boursicoteurs et de leurs épigones ulcérés, ces "Messieurs qu'on nomme grand" qu'interpellait Boris Vian par la voix de Mouloudji dans le "Déserteur".
Que peuvent encore les vers de Lamartine?
Que vaut donc une abeille au regard de l'argent?
"Il y avait un jardin qu'on appelait la Terre
Il était assez grand pour des milliers d'enfants
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents
La la la la la la
Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus
Où est cette maison toutes portes ouvertes
Que je cherche encore et que je ne trouve plus?"
De profundis!
Antoine Leprette
Maison du Pêcheur
Locmiquélic - lundi 15 juin 2020
PS. Cet argent, je le leur laisse et m'en vais flâner en rêvant, regarder pousser les arbres, prendre mon vélo, planter mes choux, prendre un ris dans la grand-voile, apprendre encore et encore de mes amis venus d'ailleurs, aligner des mots qui chantent et avec ceux que j'aime qu'ils soient proches ou lointains, tenter de sauver ce qui se peut encore, réinventer la joie, créer de nouvelles façons d'être, partager les combats présents et futurs, à notre rythme, au rythme du temps, prendre ce temps de vivre si cher à Georges Moustaki.
Pour enrayer le déclin des pollinisateurs, on peut toujours rendre une petite visite sur le site de l'excellente ONG Pollinis: https://www.pollinis.org/