Pour Kady mon élève du Mali, sa traversée de la Méditerranée pour fuir la violence des hommes. Avec sa permission..
Lecture du poème Femme courage accompagnée du percussionniste sénégalais Abdulaye lors de la soirée d'Accueil sans frontière le 15 avril 2023
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L'eau et le ciel
Le ciel et l'eau
Et encore le ciel
Et toujours l'eau
Tout mélangé!
L'eau et le ciel
Le ciel et l'eau
Le soleil qui me brûle
Ma peau est brûlée.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
J'ai mal au bras, j'ai mal au ventre, j'ai mal aux jambes
Mon corps paralysé, meurtri, endolori
Je ne peux plus bouger
Cinq jours en mer
Serrés
Tassés
Entassés
Des hommes
Trois femmes
Et nos petits
Nous sommes si nombreux sur ce petit esquif
Les vagues sont bien grandes qui s'écrasent sur la proue
Nous sommes à ras de l'eau.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
"Pas bouger!"
L'ordre claque
Pas bouger où tu seras jetée
Donnée à la mer
Noyée!
Je ne sais pas nager
Je viens d'Afrique
Comme mon voisin devant
Comme mon voisin derrière
Je serre les fesses, mes muscles se contractent
Coincée entre mon voisin de devant et celui de derrière
Mon petit dans mes bras.
Dors mon enfant
Ne pleure pas
Maman est là
Dors mon petit.
Pas d'eau!
Le soleil qui tape sur la tête
Il est évanoui mon petit, mon bébé
Alors je chante, pour le courage.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Un jour
Une nuit
Encore un jour
Et encore une nuit
Et encore les jours
Et encore les nuits
Le ciel et l'eau
L'eau et le ciel
C'est terrible la nuit
J'ai peur de mourir
Je fais pipi
Tous mes besoins
Sous moi
Et je vomis
Le matin, le soir, la nuit
Sur moi
Comme mon voisin de devant
Comme celui de derrière
Et le chef crie!
Et le chef nous bat!
Il est libyen le chef.
Achetée
Vendue
La prison
Les coups
Je fais pipi
Tous mes besoins
Mais je suis là pour toi
Mon petit
Mon garçon.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Et les heures suivent les heures
Déjà des morts
Et toujours l'eau
Toujours le ciel
Et encore le soleil
Et toujours et encore les cris des méchants
Et j'ai peur
Je vais mourir
Et puis le cris
Le cris d'un homme
Son grand cris
Au loin
Un bateau!
Les gendarmes
Des Arabes
Ils crient
"Ce n'est pas le bon chemin!"
Alors reviennent les pleurs
Alors revient la peur
Et le ciel
Et l'eau
Le soleil
Et la douleur
Et la mort.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Et reviennent les heures
Et les nuits
Et les jours
Et enfin un point, une ombre, un grand bateau
Et les hommes crient à nouveau
Ils veulent se lever
Ils veulent danser
Moi! moi!
Chacun pour soi
Notre barque danse aussi
Une danse de mort
Elle va sombrer
Nous allons tomber
Nous ne savons pas nager
Moi aussi je ris
Mais j'ai peur aussi
Je pense à mon petit
"Sit down! sit down!"
C'est le grand cris du grand bateau
"Sit down! sit down!"
Et les hommes obéissent
Le canot n'a pas versé
Nous ne sommes pas noyés
Nous ne savons pas nager
Je suis dans le grand bateau
Mon enfant est vivant.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Extrait de "Être(s) libre(s)" (inédit)
Jeudi 3 décembre 2020
La Maison du Pêcheur - Locmiquélic
Samedi 3 octobre 2020. L'association "Vent du large" de Locmiquélic dans le Morbihan, organisait une journée de contes, de poésie et de musique en solidarité avec les migrants, au profit des associations "Accueil Sans frontière" de Locmiquélic et SOS Méditerranée. Je fus invité avec beaucoup de gentillesse à lire un de mes poèmes, des extraits de Exil II.
L'exil!
L'exil qui nous éloigne
L'exil qui nous sépare
Nous met à part
Nous rend, différents.
Étranges étrangers.
L'exil!
Parfois choisi
Souvent subi
Exil douleur
Rarement douceur
Exil tristesse
Parfois tendresse
Exil couleurs
Exil rencontres.
L'exil!
Qui nous fabrique
Qui nous façonne.
L'exil c'est partir.
Partir,
Sans revenir.
Partir,
Puis revenir.
Si loin!
Si près!
Les frontières nous enferment,
Les frontières nous accueillent,
Les frontières dans nos têtes,
Dans nos cœurs,
Dans nos âmes,
Des murs qui emprisonnent.
Où es-tu mon île,
Ma grande île,
Mon île rouge,
Mon île verte et bleue?
On m'a enlevé à toi il y a si longtemps.
L'arrachement!
C'est ainsi que je nommais la tâche grise qui hantait mes nuits d'enfants.
Et j'ai grandi si loin, avec en moi un vide, un manque, un trou que je n' pouvais nommer.
Où étiez-vous voix d'hommes et de femmes mêlées qui chantaient dans l'abside, derrière les bananiers verts?
Vos notes s'élevaient vers le ciel bleu et blanc,
Coulaient vers les rizières.
Elles couraient dans la ville, inondaient le jardin,
Venaient bercer l'enfant dormant sous la varangue.
La vague vous a ôté,
L'avion m'a emporté.
Quarante ans plus tard dans un Paris glacé,
Vos voix sortent de l'ombre.
Elles surgissent des sillons d'un vieux disque usé.
J'écoute, amusé, ces notes venues d'ailleurs.
Et puis mon cœur bondit,
Mes yeux tout embués de larmes qui débordent.
Tout au fond de mon corps, au tréfonds de mon âme,
Là
, très loin, dans un coin perdu de cellules oubliées,
Viennent les notes des hommes et des femmes mêlées
Qui chantaient dans l'abside, derrière les bananiers.
Ces notes réveillent en moi les souvenirs enfouis.
Moments si tendres,
Oubliés,
Perdus,
Aujourd'hui retrouvés.
Et je pleure doucement.
Mon cœur est si heureux de cette joie qui coure dans le réseau si dense de mes veines bleutées,
Mes nerfs sont à vif,
Effleurés par la caresse douce de ces voix venues des rives de ma naissance.
Je suis retourné sur l'île,
Mon île,
La grande île,
L'île rouge, verte et bleue.
J'ai retrouvé l'abside derrière les bananiers,
J'ai entendu les chants des hommes et des femmes mêlées,
J'ai mis mes pieds d'adulte dans mes chaussures d'enfant
Et j'ai fermé les yeux pour ce voyage ailé.
Mes pas m'
ont transporté,
C'est le jour du marché,
Les odeurs m’enivrent,
J'ai six mois
J'ai deux ans,
Ma main blanche dans la sienne,
Sa longue main noire si fine,
La main de Noureline,
Le long de l'océan aux couleurs vertes et bleues,
Les couleurs qui flottaient autour de la tâche si grise.
Au bout de la rue, la plage
Et la grande avenue bordée de cocotiers.
Et mes pieds me conduisent
Et je trouve la plage et la longue avenue bordée de cocotiers,
Là où le vert de l'eau se mêle au bleu du ciel,
Le long de l'océan,
Au bord du grand canal,
Celui du Mozambique.
Je peux pleurer enfin sur mon île retrouvée.
J'ai pu remplir le vide, le manque, le trou que je n' pouvais nommer.
Enfin réconcilié!
Antoine Leprette
Mercredi 23 septembre
La maison du Pêcheur - Locmiquélic
Extrait de "Dans les fêlures du Temps" - Recueil en préparation
Il est venu de loin,
Sa besace crevée,
De son pays lointain
Qui l'avait rejeté.
Ses yeux se perdent parfois,
Son regard est muet
Dans des ailleurs glacés
Où se givre l'effroi.
Il s'en venait d'Orient,
De cet Iran lointain
Aux senteurs de roses,
Aux parfums de jasmin,
Cette Perse mythique
Qui fit naître les poètes,
Poètes de l'amour,
Et du temps qui s'en va,
De son pays aimant
Violé par les violents
Qui volent, qui tuent, qui blessent
Pourchassant les amants
Au nom de Dieu, au nom de diable
Au nom de tant de boniments.
Il est là tout cassé,
Comme un oiseau blessé
Recherchant la tendresse,
L'amour et la beauté.
Il est là l'étranger,
Si proche et si lointain
Et nous n'avons pour lui
Que nos cœurs, que nos mains
Mais c'est déjà beaucoup
Pour l'homme qui a souffert,
L'enfant qui est sorti
Des geôles de l'enfer.
Et l'âme sœur est là
Tant cherchée, désirée
Qui revit et qui chante
Au printemps qui renaît.
Et c'est la vie qui gagne
Et c'est l'amour offert
Comme un affront suprême
Aux geôliers amers.
Merci à toi, merci
Prisonnier solitaire
Qui a su t'en aller
La tête haute et claire
Chantant ta liberté
A la face des hyènes
Pour retrouver les tiens
Embrasser ceux qui t'aiment;
Pour retrouver celui,
Contre vents et marées,
Qui remua le ciel,
Qui boul'versa la terre
Pour guider ton chemin,
Aplanir les montagnes.
Ses yeux étaient ton phare
Qui te guidaient la nuit
Au milieu des rochers
Dressés par les méchants
Pour t'empêcher de vivre,
D'aller le retrouver.
Étranger tu étais,
Tu es maintenant nôtre.
Nous t'accueillons sans fards,
Sans détours, sans histoires.
Puissiez vous vivre enfin
En paix, dans l'harmonie,
Mes enfants au passé
Si douloureux, meurtri.
Antoine Leprette
Dimanche 14 avril 2019
La maison du pêcheur - Locmiquélic
Extrait de "Etre(s) libre(s)" (Inédit)