à Gilles Vignault
J’avance dans le vent
Je ne sais où
Au milieu des cailloux
Piou !
Un jour,
Un loup viendra pour me lécher les joues
Je serai seul sous le soleil d’hiver
Et vous serez sous terre
Aveugles et muets !
Mais pour moi
Au-delà de vos murs
Au-delà de vos pièges
Elle est là qui m’attend
La piste !
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J’ai un garçon poisson
Sa mère était une nymphe
Il danse dans la mer
Les raies manta l’accueillent
Il raconte des histoires
Aux requins, aux baleines
Il leur parle
Les écoute
Il les a débranché
Vos pièges !
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Ma fille danse
Elle danse ma fille
Elle danse avec ses filles
Sur le dos du vent
Là-bas !
Sur la piste !
Au-delà de vos rêves
mais avez-vous des rêves ?
Là où vivent les loups
qui racontent leurs histoires
Des récits de printemps
Et de pièges rouillés
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J’ai un garçon lumière
Il agite un fanal
Au loin, très loin
Dans le blizzard glacé
Il défriche les chemins
Ses semelles sont de vent
Les loups le suivent en souriant
Et vous, sous le soleil d’hiver
Enfermés dans vos pièges
Vous dormez
Dans vos maisons de papier.
Antoine Leprette
01 mars 2024 - Train Paris-Lorient
Paru dans le n° 192 de la revue Florilège - Septembre 2023
Je marche
Vers où ?
Je ne sais
Vers nulle part
Vers l’infini.
Marcher
Naviguer
Sans savoir où aller
Sentir la pesanteur du Temps
L’épaisseur de l’espace
A travers les ondes
Sur les chemins épars.
Marcher
Naviguer
Faire corps avec le sol
Épouser la vague
Se sentir exister.
Antoine LEPRETTE
Mardi 21 mars 2023
La Maison du Pêcheur - Locmiquélic
Pour Kady mon élève du Mali, sa traversée de la Méditerranée pour fuir la violence des hommes. Avec sa permission..
Lecture du poème Femme courage accompagnée du percussionniste sénégalais Abdulaye lors de la soirée d'Accueil sans frontière le 15 avril 2023
Pour regarder la vidéo, cliquer sur le lien ou directement sur l'image: https://tube.futuretic.fr/w/nTEgMSZDvEisoRD1a8Nu4Z
L'eau et le ciel
Le ciel et l'eau
Et encore le ciel
Et toujours l'eau
Tout mélangé!
L'eau et le ciel
Le ciel et l'eau
Le soleil qui me brûle
Ma peau est brûlée.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
J'ai mal au bras, j'ai mal au ventre, j'ai mal aux jambes
Mon corps paralysé, meurtri, endolori
Je ne peux plus bouger
Cinq jours en mer
Serrés
Tassés
Entassés
Des hommes
Trois femmes
Et nos petits
Nous sommes si nombreux sur ce petit esquif
Les vagues sont bien grandes qui s'écrasent sur la proue
Nous sommes à ras de l'eau.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
"Pas bouger!"
L'ordre claque
Pas bouger où tu seras jetée
Donnée à la mer
Noyée!
Je ne sais pas nager
Je viens d'Afrique
Comme mon voisin devant
Comme mon voisin derrière
Je serre les fesses, mes muscles se contractent
Coincée entre mon voisin de devant et celui de derrière
Mon petit dans mes bras.
Dors mon enfant
Ne pleure pas
Maman est là
Dors mon petit.
Pas d'eau!
Le soleil qui tape sur la tête
Il est évanoui mon petit, mon bébé
Alors je chante, pour le courage.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Un jour
Une nuit
Encore un jour
Et encore une nuit
Et encore les jours
Et encore les nuits
Le ciel et l'eau
L'eau et le ciel
C'est terrible la nuit
J'ai peur de mourir
Je fais pipi
Tous mes besoins
Sous moi
Et je vomis
Le matin, le soir, la nuit
Sur moi
Comme mon voisin de devant
Comme celui de derrière
Et le chef crie!
Et le chef nous bat!
Il est libyen le chef.
Achetée
Vendue
La prison
Les coups
Je fais pipi
Tous mes besoins
Mais je suis là pour toi
Mon petit
Mon garçon.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Et les heures suivent les heures
Déjà des morts
Et toujours l'eau
Toujours le ciel
Et encore le soleil
Et toujours et encore les cris des méchants
Et j'ai peur
Je vais mourir
Et puis le cris
Le cris d'un homme
Son grand cris
Au loin
Un bateau!
Les gendarmes
Des Arabes
Ils crient
"Ce n'est pas le bon chemin!"
Alors reviennent les pleurs
Alors revient la peur
Et le ciel
Et l'eau
Le soleil
Et la douleur
Et la mort.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Et reviennent les heures
Et les nuits
Et les jours
Et enfin un point, une ombre, un grand bateau
Et les hommes crient à nouveau
Ils veulent se lever
Ils veulent danser
Moi! moi!
Chacun pour soi
Notre barque danse aussi
Une danse de mort
Elle va sombrer
Nous allons tomber
Nous ne savons pas nager
Moi aussi je ris
Mais j'ai peur aussi
Je pense à mon petit
"Sit down! sit down!"
C'est le grand cris du grand bateau
"Sit down! sit down!"
Et les hommes obéissent
Le canot n'a pas versé
Nous ne sommes pas noyés
Nous ne savons pas nager
Je suis dans le grand bateau
Mon enfant est vivant.
Je suis femme!
Mes genoux serrés contre moi
Mon enfant blotti dans mes bras
Je te serre fort, mon petit, mon amour
Tu es si fort, toi, ma vie, pour toujours.
Extrait de "Être(s) libre(s)" (inédit)
Jeudi 3 décembre 2020
La Maison du Pêcheur - Locmiquélic
Publié dans le n° 109 de Poésie-Sur-Seine dans le cadre du thème Plaidoyer pour la paix.
Douce est la vie
Une caresse, un rayon de miel, un sourire
Un oiseau qui plane, un enfant qui dort
Tout ça est pas grand-chose,
Bonheur ténu, si vaste
Terrible est la vie
Un coup de baïonnette, une mine qui explose
Un œil éteint, un drone qui bourdonne
Un jeune homme allongé (On pourrait croire qu’il dort)
Bonheur assassiné
Ils sont bleus, ils sont rouges, la furie les emporte
Pour un sillon, pour quelques mots, un bout de tissu, un temple
Leurs sexes confondus dans l’éclat des fusils
Au bout de leurs doigts, sur leurs claviers, micros ouverts, écrans allumés
Et peu importe s’ils sont des milliers, s’ils sont des millions
Hommes, femmes, enfants mêlés, déchirés dans des fosses à jamais refermées
Litanie sans fin, jour après jour, nuit après nuit !
Je me roule en boule sur mon lit, je me bouche les oreilles
Et j’entends leurs cris, infinis…
Le cri de Munch !
Laissez nous dormir, laissez nous rêver, danser et puis rire
Souffrir parfois, souvent douter, laissez nous nous aimer
Laissez nous la paix !
Antoine Leprette
Publié dans le n° 109 de Poésie-Sur-Seine dans le cadre du thème Plaidoyer pour la paix
La paix est une cerise,
Un cadeau du printemps, juteux, sucré, si longtemps attendu
Fille de fleurs si frêles, tremblantes dans les gelées d’avril.
La paix est un homme, une femme qui avance sur un fil
Désirable, fragile
Offerts aux plus aimants.
La paix est un enfant,
Une promesse d’avenir, un espoir, une espérance
Un baume pour nos nuits d’angoisse, de solitude, le rêve d’une vie.
La paix est un amant, une amante qu’on prend, qu’on abandonne
Que l’on trahi quand on est garce, qui vous trahi quand on l’oublie
Fidèle, infidèle au grès de nos passions, de nos dénis, de nos envies.
La paix est une saison.
Après l’hiver des hommes broyés, des femmes écartelées, des enfants délaissés
Revient le temps des fruits, des fleurs sur les pêchers.
Quand vient le temps d’aimer, le temps de reconstruire
Quand elle revient enfin l’urgence du temps de vivre avant que de mourir
La paix se fait anneau, promesse d’éternité.
Et toujours dans nos vies elle est une caresse, une prière, une offrande,
Un combat sans fin, jamais acquis, toujours recommencé.
Antoine Leprette