Nos grands chênes se meurent

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Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Environnement, Nature

Paru dans le n° 193 de la revue Florilège - décembre 2023

Ils ont grandi ensemble et se sont embrassés,

Ils se sont enlacés, l’un de l’autre amoureux,

Ils sont devenus un pour ensuite s’élancer

Vers le ciel plombé, droits et majestueux,

 

Les grands chênes moussus aux grandes mains ouvertes

Dont les faîtes surplombent toute la canopée.

Si hauts, si calmes, si forts, leur chevelure si verte,

Les grands chênes sont les maîtres de toute la forêt

 

Et pourtant, agressés par un soleil trop dur

La chaleur les aspire, les essore, les assèche,

Leur sève s‘évapore, leurs écorces se fissurent ;

 

Trop sensible à Hélios, ils se sentent menacés.

Pour affronter ses traits, leur peau est bien trop rêche.

Les grands chênes se meurent au fin fond des forêts.

 

Antoine LEPRETTE

21 juillet 2023 – Forêt de Camors

Se sentir au monde

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Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Nature

Poème publié dans le numéro 107 de la revue Poésie sur Seine de septembre 2022 sur le thème "La montagne" (cliquer sur la page de couverture)

Adossé à la roche, où les oiseaux se marient à la pierre
Laisser venir l’espace
Se laisser envahir
Contempler la nudité du ciel
Laisser perler l’eau du torrent
Se gorger de son froid
S’ébouriffer de vent
Vivre en se laissant traverser par le léger ondoiement des herbes et des fleurs
Allumer un feu
Être le témoin du mariage des braises et des étoiles
Marcher, grimper
Là haut
Toujours plus haut
Encore plus haut
Goûter à cet air réservé aux oies sauvages
Et là, oubliant tout ce que l’on sait
Contempler, s’émerveiller
Se sentir pleinement au monde

Antoine Leprette

Dimanche 3 juillet 2022
La Maison du Pêcheur – Locmiquélic
 « Songeries » (recueil en préparation)

Un olivier en exil sur l'île de Groix

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Classé dans : Autres regards Mots clés : Nature, Exil

Ces derniers jours, j’ai navigué vers l’île de Groix. Je m’y suis rendu sur mon voilier, Betsileo. J’ai dormi une première nuit à Port-Tudy puis randonné toute une journée sur l’île. Magnifique promenade. Des paysages superbes de landes et de falaises.
Au cours de ma promenade, j’ai rencontré deux dames qui contemplaient un olivier planté dans leur jardin. Il leur paraissait très beau et elles échangeaient leur fierté de la façon dont il était taillé. A quelques mètres, je contemplai cet arbre étrange, ici, comme en exil, pas vraiment à sa place. Je partageai sa tristesse et son chagrin de se savoir si loin des paysages tant aimés, au-delà de la beauté des lieux dans lequel il avait échoué. Les dames, s’apercevant de ma présence, me demandèrent ce que je pensai de la taille de leur arbre. Retrouvant spontanément l’accent de mes pères, je leur répondis gentiment que ce n’était pas un olivier. L’arbre que j’avais devant moi était très beau, tout buissonnant mais ce n’était pas un olivier. Il n’en n’avait plus les couleurs, le chatoiement argenté des feuilles et des écorces sous la lumière brûlante de la Méditerranée. Cet arbre était étranger sur cette terre, dans cette lande austère. Il lui manquait le frémissement de l’air sous le soleil brûlant. Il lui manquait le bleu si lumineux d’un ciel sans nuages. Il lui manquait les vignes et les pins se balançant mollement sous un air léger ou ployant à craquer sous un violent mistral. Il lui manquait la terre, la terre rouge dans laquelle pousse les cailloux des terres de Provence, d’Espagne, d’Italie, de Grèce, d’Algérie, de Palestine. Il lui manquait les mains calleuses des paysans du Sud et les visages rudes mais ouverts, burinés par le soleil de la Méditerranée. Oui ! Cet arbre était bien triste, tout seul dans son jardin à faire la déco et il faisait ce qu’il pouvait le pauvre pour faire plaisir à ces dames qui lui paraissaient bonnes et gentilles.  Cet arbre que je voyais, vert sombre sous le soleil si gris avait perdu son nom.
Aux dames, je dis encore que les anciens en Provence, taillent les oliviers de telle façon qu’une tourterelle puisse se loger en son sein sans difficultés. Saisissant une de ses branches, je lui dis : « Frère d’exil, je te donne ma main pour te rappeler le soleil qui est le nôtre et que nous avons tant partagé ».
Les deux dames m’écoutaient étonnées, quelque peu incrédules. Je leur dis : « La Bretagne est si belle ! Ses paysages de landes et de forêts austères sont remplis de mystères qui font les mythes, parmi les plus anciens. Vous avez ici des arbres si beaux, étonnants, des arbres de mémoire qui peuvent se souvenir du temps des druides et des poseurs de pierres. Les chênes majestueux qui peuplent vos forêts, les merisiers sauvages qui donnent tous leurs fruits dans vos haies buissonnantes, vos pommiers noueux, argentés du lichen qui les épouse avec bonheur alimentent le rêve aux musiques des fest-noz où le cidre coule à flot. Mais même vos cèdres du Liban ont perdu, en s’implantant ici, leur majesté qui puise ses racines dans les navires de l’ancienne Phénicie. Nos oliviers peuvent raconter les histoires de Noé, les pas de Jésus-Christ, les frasques des dieux de l’Olympe, le fracas des armes des Romains ou de la guerre de Troie,
les vaisseaux qui, venant de Phocée, transportèrent leurs anciens dans la calanque du Lacydon et le mariage de Gyptis et Protis qui par cette union scellèrent leur destinée dans la terre provençale.

L’arbre qui pousse devant moi n’est plus un olivier. En s’expatriant, il est devenu autre. Mais sa taille buissonnante, très réussie, met de la lumière dans vos yeux. Mesdames ! Et c’est sans doute bien ainsi ».
Tout en méditant ce dialogue fictif, je m’éloignai contempler les beautés sauvages de l’île, l’île de Groix, cette île faite pour les tempêtes violentes, les embruns sauvages et les ciels gris, lourds de pluie, au son d’une houle qui se fracasse en écume bondissante sur des falaises austères, au son de vents venus de l’océan caresser des landes peuplées de Korrigans, frères farouches de nos joyeux Fantasti qui vivent dans nos étables à l’ombre des grands pins et dorment dans nos foyers où brûle dubois de cade mêlant son parfum envoûtant à la vaisselle creusée dans du bois d’olivier.

Antoine Leprette

Lundi 20 septembre 2021 - La maison du Pêcheur - Locmiquélic

La Rose rouge (extraits)

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Classé dans : Poèmes et mots des amis et d'ailleurs Mots clés : Nature, Vivre

Pour parler de la Provence, je veux partager ces descriptions si fines, si élégantes, rédigées par mon grand-père, Fernand Leprette, il y a près de soixante dix ans dans son beau livre, la Rose rouge, qui rend hommage à une amie provençale, trop tôt disparue, victime d'un cancer. Mon grand-père était un homme du Nord, fasciné par les lumières du sud, mais tellement respectueux de ces hommes, de ces femmes qu'il rencontrait et de ces paysages qui l'éblouissaient. C'est en homme grandi dans les corons du Cambraisis, venant d'Egypte où il séjournait depuis bientôt trente ans, qu'il décrit ces paysages provençaux qu'il découvre pour la première fois, près de Joucas, non loin de Gordes et de Roussillon, la demeure dont son amie était originaire

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Sylvebarbe

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Classé dans : Voyages en poésie Mots clés : Nature

Un grand arbre avançait marchant sur ses racines,

Il marchait en tremblant dans la forêt perdue

Tendant ses grandes branches vers les hommes futiles

En agitant ses feuilles, en nous faisant des signes.

 

Ne serait-ce pas Treebear, le plus ancien des Ents

Qui appelle au secours pour sa forêt perdue?

Sa peau est faite d'écorce, sa barbe de rameaux,

Il porte devant lui le message de la sylve.

 

Il apparaît bien seul à l'orée du grand bois.

Où sont partis les dieux qui protégeaient Sylva?

Qu'êtes vous devenus? vous étiez immortels!

Aja des Yoroubas, Abnoba le Gaulois

Tapio et Melikki du pays des grands-froids

Et vous les Driaddes de la lointaine Hellade,

Aranyani des Indes, le Maori Tane,

Auriez vous rejoint Vidar dans ses silences du Nord?

Porewit n'est plus dans la toundra glacée,

Il ne protège plus le passant égaré.

Où êtes vous donc passés?

Je vous en prie,

Revenez!

 

Ils ne sont plus nombreux les peuples de la forêt,

Noyés dans nos tourments, nous les avons perdu.

Pour chaque homme qui chasse son enfance rêveuse,

Une fée agonise, un elfe disparaît.

 

Mais si nous fermons les yeux dans nos songeries blêmes,

Robin réapparaît et Peter Pan renaît.

Le chevalier Bragon et Gandalf le gris

Reviennent prendre l'épée, la Compagnie revit.

Nos rêves ne sont pas creux,

Nous retrouvons les dieux.

 

Je revois Sylvebarbe, il avance, têtu,

Il appelle au secours, j'en suis sûr, c'est bien lui,

Il n'est pas seul,

Je le vois,

Derrière lui se presse toute une multitude,

La foule de nos ancêtres accrochés à ses pas,

Ils chantent un air très doux et nous tendent les bras.

 

Peut-être pourrions nous, si nous croyons encore,

Faire la paix enfin, nous lover dans leurs branches,

Avoir confiance en eux,

Les faire revivre un peu,

Retrouver nos anciens

Que nous croyions éteints,

Sauver leurs protégés

Pour aussi nous sauver.

 

Alors un vent très fort souffle dans notre dos,

Les grandes voiles des arbres se déploient dans l'azur,

Le grand vaisseau des êtres de la forêt perdue

Appareille vers des terres, des rivages inconnus.

 

Osons prendre le large main dans la main des dieux!

Osons ne plus vouloir bâtir à qui mieux mieux!

Osons ne plus détruire, osons rêver un peu!

Osons aller moins vite, osons ouvrir les yeux!

 

C'est le grand cris de l'arbre.

Dans un souffle,

Sans un bruit,

Le monde se fit silence.

Une suspension du temps.

On entendit ses branches bercer au vent léger

Les nids des oisillons chantant sous la charmaie.

 

Antoine Leprette

Vendredi 3 juillet 2020- La Maison du pêcheur- Locmiquélic

Extrait de "Blues du soir: le grand cris de l'arbre" (Inédit)

 

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