Vous avez dit Israël? Palestine ? Vous avez dit Palestiniens - 5/7


Le sionisme apparaît au XIX° siècle. Il est une des composantes du mouvement des nationalités qui parcourt l’Europe à cette époque. La France révolutionnaire et les armées napoléoniennes qui ont suivi, la Grande Nation comme on l’appelait à cette époque, sème pour le meilleurs et souvent pour le pire dans toute l’Europe l’idée nationale née autour de la Patrie en danger des révolutionnaires de 1792. Les différentes composantes de ce qui deviendra l’Allemagne commencent à s’unir en réaction à la domination française, il en va de même en Italie. En 1848, à la suite de l’indépendance de la Grèce en 1830 a lieu le Printemps des Peuples. Hongrois, Roumains, Tchèques, Polonais se révoltent contre la domination autrichienne, cherchent à s’affirmer et revendiquent indépendance et souveraineté. Les Juifs d’Europe orientale qui constituent eux-aussi une minorité dans leurs empires respectifs n’échappent pas à la règle.

Suite à la montée des pogroms en Russie, en Pologne, conscients qu’ils ne peuvent revendiquer un pays en Europe, certains intellectuels commencent à théoriser l’idée biblique d’un retour à la terre promise à Abraham. Parmi eux, Moses Hess en 1840 commence à penser la fondation d’un nouvel état juif en Judée. Sa théorie est reprise par Théodore Herzl en 1895, à la suite de l’affaire Dreyfus. C’est le début d’une migration de nombreuses familles juives d’Europe orientale vers la Palestine ottomane. C’est aussi le début d’un nationalisme juif qui se constitue autour de la naissance du mythe d’un peuple venu tel quel du monde biblique et de sa souffrance d’être une diaspora persécutée en exil. C’est encore le début d’une utopie socialiste, des migrants juifs socialistes espèrent pouvoir vivre leur utopie socialiste loin des carcans de l’Europe. Six grandes vagues de migrations juives se succèdent ainsi entre 1881 et 1948. En 1918, les Juifs sont 83 000 en Palestine, ils sont 650 000 en 1948 pour 900 000 Palestiniens arabes. De nombreux organismes culturels juifs sont mis en place. L’hébreu, qui n’était plus que la langue religieuse est redynamisé, quelques millionnaires philanthropes comme Edmond de Rothschild financent ces initiatives.

Le monde ottoman n’échappe pas à la montée des nationalismes qui l’ont déjà durement affecté au XIX° siècle avec les indépendances successives de la Grèce, de la Roumanie, de la Bulgarie. Le nationalisme arabe émerge en son sein dès 1913, très vite violemment réprimé par les Turcs. A la fin de la première guerre mondiale, le Royaume Uni s’empêtre dans des contradictions aux conséquences mortifères pour la région. Balfour reconnaît la fondation d’un Foyer juif en Palestine en 1919 et dans le même temps, les Britanniques promettent au roi Fayçal un grand royaume arabe qui irait de la Jordanie à la Syrie (cf Lawrence d’Arabie). La montée en puissance du sionisme et la présence britannique font naître un mouvement nationaliste spécifiquement palestinien, souvent encore sur des bases familiales. Nationalistes juifs, pan-arabes, palestiniens s’unissent ponctuellement pour chasser les Britanniques, mandataires depuis 1920 et commencent à guerroyer entre eux pour préparer l’après Palestine mandataire.

Les tenants du pan-arabisme, majoritaires jusqu’à la fin des années Trente, incluant la Palestine dans un vaste état jordano-syrien, refusent l’idée d’un État palestinien,. En 1920, les habitants de Jérusalem manifestent pour demander leur rattachement au royaume de Syrie voisin. Mais progressivement, sous l’influence de quelques grandes familles, les habitants de Palestine commencent à prendre conscience de leur identité. Ils étaient habitants de l'empire ottoman vivant en Palestine mandataire, ils deviennent Palestiniens. En 1937, les nationalistes palestiniens mènent la grève du tarbouche. Ce couvre-chef turc est symboliquement remplacé par le keffieh, la coiffe traditionnelle des paysans de Palestine, fièrement arboré par le leader palestinien Yasser Arrafat durant toute sa vie politique. Ainsi, pour beaucoup de dirigeants arabes, encore aujourd’hui, les Palestiniens sont arabes et un état palestinien n’a pas de raison d’être. Vous avez dit Palestiniens ?

Les peuples européens sortent de la deuxième Guerre mondiale en constatant avec effroi les violences de la Shoah. Se sentant honteux et coupables, ils mettent en place un partage de la Palestine mandataire en deux États et favorisent des migrations importantes de Juifs européens vers la Palestine mandataire finissante.

En 1948, ne reconnaissant pas ce plan de partage de la Palestine en deux États mis en place par l’ONU, les sionistes nationalistes Juifs proclament l’indépendance unilatérale d’Israël provoquant une réaction immédiate des pays arabes voisins qui entrent en guerre. Israël sort victorieuse de ce conflit. Plus de 700 000 habitants de la Palestine sont obligés de fuir, c’est la Nakba, la catastrophe si violemment imprimée dans la mémoire collective palestinienne depuis. 400 villages sont rayés de la carte. Les voisins arabes, Égyptiens et Jordaniens s’approprient Cisjordanie et bande de Gaza.

En réaction, Yasser Arafat crée le Fatah en 1959 et l’OLP est mise en place en 1964. Ces organisations revendiquent la disparition de l’État d’Israël au profit d’un État palestinien. D’autres guerres suivent entre Israël et les pays arabes, en 1967, en 1973 puis au Liban. En 1969, la première ministre d’Israël, Golda Meir a beau jeu de déclarer : « Ce n'était pas comme s'il y eut un peuple palestinien en Palestine se considérant lui-même comme peuple palestinien et que nous les avons chassés et pris leur pays. Ils n'existaient pas. ». Les Palestiniens sont niés, ils seront de plus en plus invisibilisés. Circulez, y a rien à voir. Bientôt, les autorités israéliennes les parquent derrière des barbelés, des murs. Quand on évoquait le rideau de fer et le mur de Berlin dans les années de Guerre froide, on parlait de Mur de la Honte. Quel qualificatif adopter pour désigner les fortifications de béton qui enserrent Gaza ? Mais justement, les Palestiniens veulent être vus. Les guerres reprennent, première, deuxième Intifada. Et paradoxalement, parce que Israël fut conçu dans l’utopie de la démocratie républicaine, être Israélien, c’est être de citoyenneté israélienne, que l’on soit Juif, Arabe, Palestinien, de confession israélite, musulmane, chrétienne ou autre. Les Palestiniens restés en Israël deviennent Israéliens. Vous avez dit Juif ? Arabe ? Israélien ? Palestinien ? Israélite ? Musulman ? Chrétien ?

L’histoire continue ainsi jusqu’à nos jours au rythme des violences des uns et des autres, des morts, des enfants, des jeunes gens, des hommes, des femmes qui meurent sous les balles, sous les bombes, chaque balle tirée, chaque bombe qui explose renforçant la conviction des uns et des autres dans sa légitimité fantasmée et dans la négation de l’autre.

L’espoir est né, en 1992 avec les accords d’Oslo. L’idée d’une terre et de deux États coexistant pacifiquement semble l’emporter. Les Palestiniens obtiennent de pouvoir administrer les territoires occupés sous contrôle israélien. Tout le monde espère. Tout le monde se souvient avec émotion de ces mains serrées du premier ministre Israélien Itzak Rabbin et du chef palestinien Yasser Arrafat à l’initiative du président américain Bill Clinton. Quel courage pour ces deux hommes qui avaient tant combattu l’un contre l’autre que d’accepter de se voir, de se reconnaître, d’accepter leur existence mutuelle. Mais les extrémistes de tous poils n’aiment pas la paix et préfèrent la mort à la vie. L’extrême droite israélienne assassine Itzak Rabbin, les humiliations à l’encontre des Palestiniens reprennent de plus belle, établissements illégaux de colons en Cisjordanie, contrôles incessants, humiliants. Des Palestiniens reprennent les armes, des cailloux, des fusils, des bombes, l’armée et la police israélienne répliquent, les morts s’ajoutent aux morts, des femmes, des hommes, des enfants.

Vous avez dit Palestinien ? Oui, bien sûr ! On se sent Palestinien comme on se sent juif, arabe, européen, appartenir à une communauté civilisationnelle, une façon d’être, de vivre, d’envisager la vie, être fier de produire une des meilleures huile d’olives du monde, avoir en partage les souffrances de l’exil. Être Palestinien, c’ est être fier d’être d’une terre qui donna naissance à David, à Jésus, qui vit Mohamad venir en rêve sur son cheval ailé, qui donna naissance à des personnalités contemporaines de premiers plans, le poète et écrivain Mahmoud Darwish, Hanan Ashrawi, doctorante en langue anglaise, actrice des accords d’Oslo, prix Sydney de la paix, l’écrivain Edward Saïd, l’écrivaine et journaliste Rula Jebreal, Marwan Barghouti si souvent proposé pour le prix Nobel de la paix, la mannequin Bella Hadid et ses actions caritatives auprès des réfugiés en Jordanie.

A suivre…
Israéliens, Palestiniens, aujourd’hui. Quid de demain ? Bibliographie

Antoine LEPRETTE

Cet article a été mis à jour le 28 avr. 2024

Antoine Leprette

 Un passé de professeur d'Histoire et de Géographie,  d'infirmier,  d'expatrié en Arabie, en Afrique, toujours voyageur dans l'espace et le Temps, guetteur! Je souhaiterais faire profiter de ma boussole, constituée au fil du temps, de mes rencontres, de mes épreuves, pour s'orienter dans ce monde agité de si terribles soubresauts.