Vous avez dit Israël ? Palestine ? Adendum et bibliographie succincte - 7/7


Adendum :

Quand l’historien aborde un livre sacré, il doit le faire sur la pointe des pieds mais avec fermeté et une conviction chevillée au corps : mettre émotion, passion, foi et croyances sur une étagère. Il ne s’agit pas de faire « comme si » mais simplement de ne pas opérer une confusion des genres. L’étude du personnage historique Jésus de Nazareth, Jeshua pour les juifs, Issa pour les musulmans, est de ce point de vue un cas d’école. Jésus est vécu comme un des grands prophètes par une grande partie de la communauté juive, il est encore perçu comme le Messie par quelques courants en son sein (Juifs-Chrétiens), il est le plus grand prophète de l’islam, plus important que Mohamad lui même, celui qui reviendra à la fin des Temps, et présidera au Jugement, il est enfin vrai homme et vrai Dieu pour les chrétiens, Dieu qui décide de vivre l’entièreté de la condition humaine, la tentation, la colère, la peur et l’angoisse, la souffrance et la mort pour montrer un chemin d’amour afin de gagner en ressuscitant, la vie éternelle aux côtés de Dieu comme l’affirme leur credo.Mais pour l’historien, Jésus de Nazareth est un homme de son temps, un Juif judéen de Galilée issu d’une famille d’artisans sans doute cultivé, entouré de frères et sœurs, vivant dans une contrée du nord de la Palestine semée de villages, de bourgades, de petites villes très proches les unes des autres, au début de l’Empire romain, convaincu que le Royaume de Dieu va s’installer sur Terre de son vivant. Persuadé de cela, il va de village en village entouré de quelques compagnes et compagnons (celles et ceux avec lesquels on partage son pain, les apôtres) annoncer cette « bonne nouvelle » (εὐαγγέλιον / euangélion , évangile). Il est loin d’être le seul à cette époque. Dans un contexte de forte agitation intellectuelle (développement de la philosophie grecque, modernisme de la religion juive de cette époque), nombreux sont les personnages qui sillonnent ainsi cette région pour partager leur vision du monde (Jean le Baptiste, les Esséniens, Apolonios de Thyane et bien d’autres encore).

Le message de Jésus de Nazareth dérange politiquement les autorités romaines et juives de son temps. Il en est mort, victime de machination politique. Ce n’est guère une question religieuse. Les Romains avaient une grande tolérance à cet égard. Pour résumer, un dieu en plus pour eux ne pouvait être qu’une bonne chose. C’était une protection supplémentaire pour l’empire naissant. Mais ils étaient impitoyables quand ils percevaient une contestation de l’ordre divin, toujours considéré comme un ordre politique (on ne différencie pas les deux). Un Royaume de Dieu (qui plus est d’un dieu présenté comme unique et universel) ne pouvait être perçu par les Romains que comme une atteinte à l’unité de l’empire incarnée par l’empereur dont la fonction divine était de maintenir l’harmonie entre les forces terrestres et les forces divines. Un crime contre l’ordre public ! dilemme que résolu Augustin d' Hypone (saint-Augustin) au IV° siècle en opérant un fabuleux tour de passe passe dans sa Cité de Dieu. L'empereur n'est pas dieu mais l'intermédiaire entre Dieu et les hommes. L'empire romain est le miroir du Royaume de Dieu, ce royaume que Jésus de Nazareth pensait annonçait et pensait voir de son vivant mais qui commençait à tarder. Rendre un culte à l'empereur n'est pas un acte religieux mais un acte politique nécessaire pour maintenir l'harmonie entre les forces d'en haut et celles d'en bas. Le tour était joué, l'empire devint chrétien, un christianisme lourd de conflits futurs. Augustin est le fondateur du christianisme moyenâgeux.
Une fois dit cela, rien n’empêche l’historien de revenir à sa foi s’il en a une (quelle qu’elle soit), de puiser dans les textes sacrés de quoi le conforter dans sa vie de tous les jours s'il le désire et d’ainsi pouvoir mieux dialoguer avec la foi des autres, sans anathèmes.

Eléments bibliographiques

Histoire du Coran, Contexte, origine, rédaction – Mohammad Ali Amir-Moezzi (Islamologue, Sorbonne et EPHE) – Cerf 2022
Dieu de la Bible, Dieu du Coran – Thomas Römer (chaire d’Études bibliques au Collège de France, Jacqueline Chabli, professeur d’Etudes arabes Université paris VIII, Professeur honoraire des Universités) – Seuil – 2020
Le Coran des historiens - Mohammad Ali Amir-Moezzi, Guillaume Dye - Cerf 2019 (Grand prix de l’IMA)
Des mille et une façons d’être juif ou musulman – Dialogue – Delphine Horvilleur (Rabbin) et Rachid Benzine (islamologue) – Seuil 2017
Jésus de Nazareth - la Société des Amis de la faculté de Théologie de Genève - Éditions Andreas Dettwiller, 2017
Les trois piliers de l’islam – lecture anthropologique du Coran – Jacqueline Chabli – Seuil 2016
Le Proche orient éclaté – 1956-2012 – Georges Corm (Economiste libanais) – Gallimard Folio Histoire – 2012
Le Seigneur des tribus – L’islam de Mahomet – Jacqueline Chabli – CNRS éditions 2010
Comment le peuple juif fut inventé – Shlomo Sand – Flammarion Champs/essai – 2010 Université de Tel Aviv
Al Sira, le prohète de l’islam raconté à ses compagnons – Mahmoud Hussein (Bahgat El Nadi et Adel Rifaat né Eddy Levy, philosophes français nés en Egypte )– Hachette 2007
Histoire de l’autre – deux récits - Une tentative d’écrire un manuel d’histoire commun en Israël/Palestine -Peace research Institute in the Middle East, ONG fondée par des professeurs d’université israéliens et palestiniens – Liana Levi 2004
La Bible dévoilée, les nouvelles révélations de l’archéologie – Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman- Bayard- 2002 Université de Tel Aviv
• L’Orient arabe – Arabisme et islamisme de 1798 à 1945 – Henri Laurens, professeur à l’INALCO – Armand Colin 1993 collection U
L’Histoire des peuples arabes – Albert Hourani Enseignant à Oxford – Seuil Point Histoire 1993


Quelques liens vers des articles utiles dans leur diversité :

  • L'autre, la terre et le chaos du temps
    Marc Hatzfeld
    https://www.marchatzfeld.com/single-post/l-autre-la-terre-et-le-fil-du-temps
  • « Il nous faut désormais résister au vertige et à l’ivresse de la vengeance » - Shaddad Attili. Ancien ministre de l’eau de l’Autorité palestinienne de 2008 à 2014 et chevalier de la Légion d’honneur.
  • A la marche pour la paix, des artistes et des anonymes unis dans le silence. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/21/guerre-israel-hamas-il-nous-faut-desormais-resister-au-vertige-et-a-l-ivresse-de-la-vengeance_6201513_3232.html. 
  •  Entre 15 000 et 20 000 personnes ont défilé à Paris, dimanche 19 novembre 2023, à l’appel du monde de la culture contre la haine et les divisions qui ont suivi le conflit entre Israël et le Hamas. https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/11/19/a-la-marche-pour-la-paix-des-people-et-des-anonymes-unis-dans-le-silence_6201135_3246.html

  •  « C’est l’heure du choix : pas entre les musulmans et les juifs, pas entre Israël et la Palestine, mais entre l’humanisme et l’horreur  - Chems-Eddine Hafiz - Recteur de la Grande Mosquée de Paris. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris s’alarme, dans une tribune au « Monde », de la place que prennent les « ennemis de la nuance » dans le débat public, incapables de faire preuve de subtilité quand l’urgence est d’appeler à la fin de la guerre. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/11/chems-eddine-hafiz-recteur-de-la-grande-mosquee-de-paris-c-est-l-heure-du-choix-pas-entre-les-musulmans-et-les-juifs-pas-entre-israel-et-la-palestine-mais-entre-l-humanisme-et-l-horreur_6199497_3232.html

  • Israël-Palestine : « Il y a quelque chose de brisé que les deux parties en conflit ont la charge de réparer ensemble » -  Jean-Christophe Attias. Historien et philosophe, directeur d’études à l’EPHE/Université PSL et  Esther Benbassa. Ancienne sénatrice, directrice d’études émérite à l’EPHE/Université PSL, où elle enseigne l’histoire du judaïsme moderne. Dans une tribune au « Monde », Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, spécialistes de l’histoire du judaïsme, soulignent la nécessité pour les Israéliens comme pour les Palestiniens de penser leur humanité commune. Ils y voient la condition pour réparer ce qui a été brisé et construire la paix.

  • ◦ https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/israel-palestine-il-y-a-quelque-chose-de-brise-qu-il-est-a-charge-pour-les-deux-parties-en-conflit-de-reparer-ensemble_6200714_3232.html
  • Rami Elhanan et Bassam Aramin, deux amis malgré tout.  https://www.arte.tv/fr/videos/118025-001-A/rami-elhanan-et-bassam-aramin-amis-malgre-tout/ décembre 2023

Cet article a été mis à jour le 28 avr. 2024

Antoine Leprette

 Un passé de professeur d'Histoire et de Géographie,  d'infirmier,  d'expatrié en Arabie, en Afrique, toujours voyageur dans l'espace et le Temps, guetteur! Je souhaiterais faire profiter de ma boussole, constituée au fil du temps, de mes rencontres, de mes épreuves, pour s'orienter dans ce monde agité de si terribles soubresauts.